Fin juin a débuté la période de baguage des jeunes Cigognes blanches pour les guides naturalistes du Parc du Marquenterre. Un programme personnel du Muséum de Paris (Centre de recherches sur le baguage des Oiseaux) est mis en place pour suivre la population en expansion de ce grand échassier en Hauts-de-France et en Seine-Maritime. En Picardie, une centaine de couples nichent ou sont cantonnés cette année dans la région. La quasi-totalité de ces couples est localisée sur notre littoral et surtout en basses vallées de la Somme et de l’Authie. Des couples s’installent aussi maintenant aussi de plus en plus dans le Pas-de-Calais, et même dans le Nord (10 couples). Un camping du littoral berckois accueille même 18 nids sur des arbres étêtés devenant l’attraction des vacanciers ! Les Hauts-de-France, terres de Cigognes… !

Naturellement dans notre région les couples de Cigognes blanches installent leur nid au sommet des grands arbres fourchus souvent morts, beaucoup plus rarement sur les pylônes électriques au grand soulagement de RTE. Il n’y a pas de tradition de nidification sur les bâtiments. Ces nids, très hauts, sont inaccessibles au baguage, comme bien entendu les 12 nids de la héronnière du Parc Marquenterre. La plupart des poussins de cigognes sont ainsi bagués sur les nids construits sur des plateformes artificielles disposées à leur intention… mais surtout pour faciliter le travail des ornithologues bagueurs. Ils sont bien accessibles avec une échelle ou un engin élévateur. 

Les jeunes à l’arrivée du bagueur font les morts au fond du nid. Leurs yeux, sombres, révulsés,  accentuent encore le stratagème face à ce prédateur potentiel (comme sait le faire la Couleuvre à collier !). L’immobilisme évite bien souvent le risque d’attaque du prédateur qui est déclenchée par le mouvement. Les poussins sont bagués entre 6 et 7 semaines. Rondouillards (parfois plus de 3,4 kilos !), les plumes noires des rémiges ont bien poussé et les plus âgés se mettent bien debout et bougent ces ailerons encore courts et flasques. Les jeunes sont descendus du nid pour être bagués au sol en toute sécurité. Ils sont munis obligatoirement d’une bague métal du Muséum de Paris (Centre de recherches sur le baguage des populations d’oiseaux) avec un numéro unique pour chaque oiseau. Les guides du Parc posent également une bague plastique verte avec 4 grosses lettres blanches en majuscule. Les quatre jeunes sur la plateforme entre le poste 11 et 12 sont maintenant porteurs des bagues : FRWD, FRWE, FRWH et FRWI.

On sait grâce à ces bagues que tous les jeunes nés dans notre région partent hiverner en Espagne (notamment autour de Madrid et en Andalousie ), au Portugal (région de Faro) mais aussi jusqu’en en Afrique (Mauritanie, Mali, Niger…). On connaît  aussi parfaitement la route empruntée par nos oiseaux qui évitent la Bretagne et trouvent des arrêts favorables en Mayenne ou dans les Deux-Sèvres. Certains rares oiseaux passent aussi par le sud-est (Champagne, Var) regagnant l’Espagne par le Languedoc Roussillon. C’est généralement au bout de deux ans qu’ils reviennent en Europe, mais de plus en plus de cigognes rentrent maintenant dès le printemps suivant. Quelques-unes vont revenir dans leur secteur proche de naissance, notamment dans le Pas-de-Calais,  mais la grande majorité va nicher bien loin de leur lieu de naissance. Des jeunes nés au Parc du Marquenterre nichent maintenant en Belgique, Pays-Bas, Allemagne, Vendée, Loire Atlantique et même… à Colmar pour un individu  !

À l’inverse, sur le même site protégé du Marquenterre nichent des cigognes nées en Belgique, aux Pays-Bas et surtout originaires de Normandie où les effectifs atteignent aujourd’hui plus de 300 couples notamment dans la Manche, l’Orne et le Calvados !

Les cigogneaux sont pesés, mesurés (bec, ailes, tarses…). Deux plumes sont prélevées pour des analyses génétiques en laboratoire, permettant de connaître le sexe pour déterminer des orientations migratoires et de fixation entre mâles et femelles. En 2022 et 2023 la sexe ratio des jeunes était parfaitement équilibré.

La Cigogne blanche se porte maintenant tout de même très bien dans notre région. Mais n’ayons pas la mémoire courte. En 1979, seulement 11 couples nichaient encore dans toute  la France (7000 aujourd’hui !) où l’espèce a failli s’éteindre ! Les conditions atmosphériques notamment printanières, la chute des nids sur les arbres morts, le manque de nourriture sont des causes naturelles de régulation de l’espèce. Bien des sites sont encore potentiellement favorables à l’espèce, notamment dans les grandes vallées intérieures picardes. Michel Jeanson, fondateur du parc du Marquenterre, qui a voué une grande partie de sa vie à la réintroduction locale de cette espèce, serait sans nul doute bien heureux de ce résultat. 

Texte : Philippe Carruette / Illustrations : Sophie Oberbach, Eugénie Liberelle

Le début d’année se présentait bien avec l’arrivée massive d’oiseaux début avril sur la future colonie du poste 2 (maximum de 460 oiseaux le 10 et 414 le 26 avril). Comme toujours, un turn over important a lieu, chaque individu étant à la recherche de son partenaire idéal dans toutes les colonies d’Europe – eh oui, l’Europe chez cette espèce est dans les gènes depuis des dizaines d’années ! 

Mais on voyait bien que la colonie était fortement instable. Le 1er mai a lieu un départ brutal des oiseaux alors que 56 couples ont déjà pondu. Il n’y a plus que 147 oiseaux le 2 mai. Cela est probablement dû aux conditions atmosphériques très défavorables avec pluies, vents perpétuels, même si le mois d’avril n’est pas trop froid. L’espèce se nourrit à cette période dans les champs agricoles aux environs du Parc, où son absence est particulièrement remarquée. On le voit aussi dans le comportement des oiseaux où les femelles sollicitent très souvent les mâles à la régurgitation, ceux-ci mangeant d’ailleurs ce qu’ils régurgitent pour elles ! Les femelles ont nettement des difficultés à trouver de la nourriture vitale pour la constitution des œufs. 

N’oubliant pas qu’à l’origine cette espèce reste méridionale, provenant du sud de l’Ukraine. Ce départ et ces difficultés d’installation sont nettement perçus par les ornithologues sur les autres colonies françaises (Noirmoutiers, vallée de la Loire, Groffliers…). Il semble que cette dispersion de “crise alimentaire” ait profité aux grosses colonies belges et hollandaises qui “font le plein”. Des oiseaux bagués contactés accouplés au Parc fin avril ont été ainsi observés sur la grande colonie d’Anvers en mai. 

Nous avons reçu des nouvelles d’oiseaux de l’Est de l’Europe de 2023 présents sur le Parc.

  • Une première polonaise : Bague rouge PHNU baguée poussin le 08/06/2022 à Zalew Szczodrzykowo, noté le 11/04/23 au Parc. Elle a hiverné du 26/12/2022 au 05/02/23 à Santa Cruz en Corogne espagnole.
  • Bague jaune ALVZ baguée poussin le 19/06/2021 sur les gravières de Leipzig (Saxe allemande). Notée le 06/04/2023 au Parc. Le 22/01/2022 sur la lagune de Rota à Cadiz (Espagne). Le 31/07/2022 dans le Dorset à Portland (Angleterre). Le 20/07/2023 sur la réserve RSPB de Lodmoor dans le Dorset et le 06/11/2023 à Omonville-la-Petite dans le département de la Manche avant de repartir dans le Dorset du 25 au 27/11/2023. Déjà un beau périple européen pour ce jeune oiseau sûrement adepte d’Erasmus !
  • Bague jaune ASKH baguée poussin aussi sur les gravières de Leipzig le 15/06/2021. Le 28/08/2021 au Cap Blanc Nez (Pas-de-Calais). Le 18/05/2022 une virée continentale plus étonnante à Kirchdorf an Inn en Autriche ! Le 31/01/2023 elle hiverne à Réville dans la Manche et le 24/03/2023 au Parc.

Texte : Philippe Carruette / Illustration : Alexander Hiley

En mars avril, on voit arriver progressivement de nombreuses Mouettes mélanocéphales sur la colonie du poste 2, où elles occupent le grand ilôt enherbé pour nicher. Si les Mouettes rieuses amènent les matériaux de l’extérieur pour construire leur nid, les Mélanocéphales préfèrent les prendre sur place.

Curieusement les Mouettes mélanocéphales ne passent pas l’hiver sur notre littoral. Pourtant elles ne sont pas loin, sur les plages de Seine-Maritime, au Touquet ou sur la plage de Boulogne-sur-Mer… mais pas chez nous ! Mystère ? Alain le Dreff, naturaliste qui suit avec toute une équipe dynamique (et sympathique !) la colonie de Noirmoutiers, évoque le manque de présence de petits écoulements d’eau douce sur nos estuaires, pourtant fréquentés par toutes les autres espèces de laridés.

Les bagues vont nous apprendre les lieux d’hivernage de ces individus qui vont nicher sur le Parc ou ne seront que de passage rapide au printemps à la recherche du partenaire idéal.

Des hivernantes en Normandie :

  • ROVN baguée le 25 juin 2022 au Polder Sébastopol (Noirmoutiers). Le 2 décembre 2023 à Réville et le 22 février 2024 à Gatteville dans la Manche. Les 19 et 20 avril 2024 au Parc, mâle accouplé avec une femelle non baguée.
  • 3JN1 baguée le 18 mai 2019 sur les usines Total à Anvers (Belgique). Le 7 décembre 2023 à Omonville dans la Manche. Les 1er et 2 avril au Parc.

Des hivernantes sur les îles Anglo-Normandes :

  • 381J baguée le 15 mai 2020 à Total Anvers. Le 20 novembre 2023 à Sainte-Anne-sur-Alderney. Le 1er avril 2024 au Parc.

Des hivernantes en Angleterre :

  • R7TL verte baguée le 25 juin 2022 au polder Sébastopol (Vendée). Du 27 janvier au 27 février 2024 à Portland dans le Dorset. Le 11 mars 2024 au Parc.
  • 3YYY baguée le 18 mai 2012 à Total Anvers. Du 28 octobre 2023 au 1er février 2024 en Cornouailles à Saint-Meryn. Le 25 mars 2024 au Parc.

Des hivernantes en Espagne :

  • 3LEV blanche baguée à Total Anvers le 14 mai 2015. Le 8 janvier 2024 à Gijon, Asturies espagnoles. Le 20 mars 2024 au Parc.

Des hivernantes en Bretagne :

  • 3JKL blanche baguée le 17 mai 2015 à Total Anvers. Le 5 février 2024 à Penzé, Finistère. Le 10 mars 2024 au Parc.

Un joli petit tour d’Europe de l’Ouest pour ces globe-trotteuses des laridés, qui n’ont vraiment pas de soucis avec la sobriété énergétique ! 

Texte : Philippe Carruette / Illustration : Alexander Hiley

En 2023, un beau groupe de Spatules blanches commence son hivernage sur le Parc. Elles sont 44 le 28 décembre (dont 2 adultes et 3 juvéniles nés en 2023, bagués aux Pays-Bas et en Allemagne du Nord) et 35 le 31 décembre. Mais malgré l’hiver très doux, petit à petit, les oiseaux quittent les lieux sans finir leur hivernage. Elles ne sont plus que 22 le 6 janvier, 15 le 7, 2 le 10. 

Au fil des jours, on voit que les oiseaux ont un plumage moins entretenu, et des attitudes plus prostrées. On peut mettre ces conséquences sur les conditions météorologiques très dures avec perpétuellement du vent et de la pluie, perturbant les oiseaux dans leur recherche de nourriture nocturne en baie de Somme. Toutefois, le 30 janvier, 22 individus sont notés sur le site de Conchil-le-Temple, proche de la baie d’Authie dans le Pas-de-Calais, qui a pourtant les mêmes conditions météorologiques que les nôtres. Est-ce que les oiseaux se rapprochent de ressources alimentaires en plus forte densité ?

Le 8 avril 2024, aRR/GfNN, bagué le 14 juillet 2021 au Schleswig Holstein (Allemagne) est revu sur le Parc où il était présent du 9 octobre au 28 décembre 2023. En 2021, il était resté du 24 octobre au 20 novembre et en 2022 du 10 octobre au 7 novembre. Hélas, on n’a pas de contact en janvier février sur son lieu de fin d’hivernage…

NBC7, bagué le 18 juin 2021 à Inlaag aux Pays-Bas, est lui aussi revu au Parc le 8 avril 2024 où il était présent du 28 octobre au 28 décembre 2023. Malheureusement, pas de contact non plus en janvier 2024 sur d’autres secteurs de fin d’hivernage… En 2021, il est resté sur le site du 7 octobre au 20 novembre. En 2022, il est vu le 9 février, et du 9 mai au 6 octobre. Le 21 octobre 2022, il est dans le Kent à Dungeness (Angleterre) et le 5 mai 2023 à Oye Plage et au Parc du Zwin en Belgique en remontée vers les Pays-Bas, où il passera l’été. 

C’est grâce à ces différents déplacements de « repérage » que les immatures formeront de nouvelles colonies de nidification lorsqu’ils seront adultes.

Texte : Philippe Carruette / Illustration : Alexander Hiley

Avec la migration de printemps, les Cigognes blanches reviennent à la héronnière, fidèles à leur nid (mais pas forcément à leur partenaire…!) ; de nouveaux couples en quête de sites de nidification pointent également le bout de leur bec…

Tout d’abord des données anciennes que nous venons de recevoir du Muséum de Paris, puis des oiseaux bagués au Parc ou dans le Pas-de-Calais qui reviennent nicher dans la héronnière en 2024 ; on voit que certaines baguées en 2004 atteignent les 20 ans !

  • P2474 : Baguée le 04/06/1998 au Parc. Électrocutée à Léglise, province du Luxembourg, Wallonie, Belgique le 04/08/1998.
  • P2475 : Baguée aussi le 04/06/1998. Observée le 18/06/2008 à Pagney dans le Jura.
  • P2109 : Baguée le 04/06/1995 à Hiers Brouage (Charente-Maritime). Observée le 15/08/2004 au Parc.
  • APXA : Baguée dans l’Eure au marais de Bouquelon le 25/05/2011. Elle est notée en hivernage le 19/01/2018 2018 à Madrid. Elle niche dans la héronnière en 2015, mais ensuite elle n’est notée qu’en passage prénuptial le 09/03/2019, le 12/03/2021, le 22/03/2022, le 24/03/2023 et le 20/03/2024, on voit la remarquable régularité de ces observations. Le 06/07/2023 elle est en baie de Canche (62).
  • AFFA : Une habituée du site où elle fut baguée le 11/06/2004. Elle est de nouveau dans la héronnière le 15/03/2024. Elle fut notée en Gironde chez nos amis du Parc ornitho du Teich le 01/12/2007, elle a hiverné en décembre 2018 à Valembray, sinon les autres données concernent la plaine maritime picarde, la baie de Canche et le Parc du Marquenterre.
  • BRZS : Baguée le 09/07/2013 à Groffliers (62). Dernière observation sur la décharge de Valembray (Calvados) le 28/01/2023. En couple sur un nid à la héronnière le 12/02/2024.
  • AERY : Femelle nicheuse à la héronnière accouplée avec mâle P6294. Baguée le 08/06/2005 à Saint Vigor d’Ymonville (76).
  • P6294 : Mâle bagué au Parc le 01/07/2004 (a perdu sa bague blanche AFFG). Sur le nid avec AERY dans la héronnière dès le 12/02/2024.
  • FHXA : Baguée à Merlimont (62) le 31/05/2017. Le 08/01/2024 sur la décharge de Valemenbray (Calvados). Le 13/02/2024 sur un nid à la héronnière avec un individu non bagué.
  • FMIC : Bagué le 30/05/19 à Merlimont. Hiverne sur les décharges en banlieue de Madrid en 2020 et sur la décharge de Valembray en 2021. Présent en 2023 au Parc mais probable échec de la nidification. Mâle avec une femelle non baguée sur un pin cassé à l’extrême gauche de la héronnière le 16/02/2024.

Texte et illustration : Philippe Carruette

En ces premiers jours de mars, un miaulement retentit à l’approche du poste 1 et nous donne le sourire ! Les premières Mouettes mélanocéphales sont revenues sur leur colonie. Ce sont en majorité des mâles et ils sont à la recherche de leur âme sœur de l’année dernière… Les appels en vol et les contacts permanents sur les ilôts (elles ont sans cesse la bougeotte !) sont autant de rapprochements sociaux pour préparer l’avenir. 

Si on ne trouve pas « palme à sa patte », on va vite quitter le Marquenterre pour gagner une colonie belge plus au nord, partir à l’intérieur des terres vers la vallée de la Loire… ou redescendre plein sud vers la belle colonie du polder Sébastopol à Noirmoutier, où nos collègues vendéens ont déjà compté plus de 3000 oiseaux. Et si l’heureux et idéal partenaire n’est toujours pas trouvé, il est toujours possible de revenir au Parc quelques jours plus tard ! Pour une globe-trotteuse comme la mélanocéphale, la sobriété énergétique n’est absolument pas la préoccupation première, amour oblige ! 

Double sourire pour nous le 4 mars 2024, deux oiseaux étaient bagués et ce sont des habitués du Parc. Les ingrates ne nous ont pas envoyé de cartes postales, mais heureusement le fidèle Camille Duponchel, figure majeure et « ancestrale » du baguage dans le nord de la France et responsable du programme du baguage couleur de cette espèce (programme du Centre de Recherches sur la Biologie des Populations d’Oiseaux), nous a aussitôt transmis  leurs CV, dévoilant leurs pérégrinations ! Car le baguage est aussi une grande histoire de complicité humaine…

  • Bague verte RU7P baguée le 01/07/2017 au Polder Sébastopol (Vendée). En 2020 elle est restée du 22/03 au 07/04 au port de Langstone dans le Hampshire (Angleterre). Elle est au Marquenterre le 27/06/2020 et le 17/03/2021, et le 12/03/2022 en recherche de partenaire. Elle est à Noirmoutier le 02/07/21. En 2023 elle est sur la saline de Lasné dans le Morbihan du 20/07 au 14/09. On ne sait donc pas (encore) où elle niche ni où elle passe l’hiver…
  • Bague blanche 3HN8 baguée le 15/05/2019 au marais d’Harchies en Belgique. Notée le 13/03/2021 à Outreau (62). Elle est probablement nicheuse sur le Parc cette année-là avec sa présence du 14/03 au 16/06. Le 11 juin 2023 elle est au Parc.

Texte : Philippe Carruette / Illustration : Alexander Hiley

De novembre à mars a lieu, trois fois par mois, une opération de baguage des oiseaux venant se nourrir de graines de tournesol sur les mangeoires proches de la héronnière. Cela s’inscrit dans le programme de Suivi Permanent des Oiseaux Locaux du Muséum de Paris (Centre de Recherches sur la Biologie des Populations d’Oiseaux). Les données obtenues au parc sont intégrées par le CRBPO dans un bilan national et dans un suivi européen des populations de passereaux à la mangeoire, dont certains sont en net déclin comme le Verdier ou le Pinson du Nord. 

En 6 ans, de 2018 à 2023, 27 espèces ont été baguées, totalisant 1055 oiseaux. 325 oiseaux ont été contrôlés l’année ou les années suivantes (à la mangeoire pour la plupart ou sur le Parc sur la deuxième station au fond des parkings, mais aussi des oiseaux bagués ou contrôlés ailleurs par d’autres bagueurs français et étrangers). Cela donne un bon taux de contrôle (30,83%), nettement supérieur à un site de mangeoire suivi depuis 20 ans sur un jardin à 10 km du Parc (20,2%). De rares oiseaux ont été aussi contrôlés sur les deux sites ! 

Cela apporte de nombreuses informations notamment éthologiques sur les espèces et l’utilisation du lieu. On peut retenir parmi bien d’autres :

  • Une faible fréquentation des Verdiers en hivernage, en augmentation avec l’apport d’oiseaux en halte migratoire prénuptiale en mars ;
  • Une présence en nombre (jusqu’à 9 oiseaux différents) de Mésanges nonettes pour un oiseau strictement sédentaire souvent seul ou en couple en hiver ;
  • La présence cyclique en hivernage du Pinson du Nord originaire de la population norvégienne (un mâle d’un an contrôlé, bagué à Stavanger) ;
  • Une période de net déclin de la Mésange charbonnière (confirmée sur la station de migration postnuptiale au fond des parkings du Parc et sur le jardin de Rue) avec un redressement progressif à partir de 2022 ;
  • La présence régulière d’au moins 5 Rougegorges sur le même lieu sans conflit majeur pour une espèce jugée très territoriale ;
  • Les irruptions de Mésanges noires, qui sont bien suivies par baguage à l’automne sur la station à l’entrée du Parc ;
  • La dominance nette de la Mésange bleue (plus d’un tiers des oiseaux bagués) avec de nombreux oiseaux contrôlés bagués en Flandres belges et en région bruxelloise, et un fort erratisme des jeunes oiseaux : un jeune mâle d’un an bagué le 28 octobre 2021 au Parc, remontant vers le nord, a été contrôlé le 1er novembre 2021 entre Gand et Anvers (!) ;
  • Même s’il ne se nourrit pas à la mangeoire, la faible présence du Roitelet huppé en hivernage alors qu’il est abondant en passage postnuptial.

Un bilan complet très détaillé, espèce par espèce, a été rédigé sur ces 6 ans de suivi particulièrement captivant sur le long terme.

En janvier 2024 de nombreux oiseaux ont déjà été bagués, dont deux nouvelles espèces pour la station : l‘Épervier et le Sizerin cabaret. Merci à tous les guides aides bagueurs qui ont permis la réalisation de ce suivi sur le long terme !

Texte : Philippe Carruette / Illustrations : Alexander Hiley, Philippe Carruette

Depuis quelques semaines, nous sommes au premières loges pour observer les Spatules blanches migrer. C’est l’occasion de regarder si elles sont baguées et, pour celles qui le sont, lire les bagues. Nous pouvons ensuite retrouver le bagueur grâce au type de code utilisé (bagues colorées, code alphanumérique…) et lui transmettre l’observation. Il l’intègre alors au registre de l’oiseau, son “CV”, qu’il nous transmet en retour. Nous pouvons alors savoir où est né l’oiseau, en quelle année et par où il est passé…

Prenons l’exemple de GGfa/LGL. Ce nom (très glamour) est en fait le code constitué par les bagues colorées. Les majuscules correspondent aux couleurs : G pour Green (vert), L pour Lime (vert clair). Le « f » minuscule signifie flag (drapeau) ; collé au G qui le précède, cela signifie que la deuxième bague verte a un drapeau, un bout de bague qui dépasse nettement (comme la bague vert clair de la spatule en photo ici). Le « a » correspond à la bague métal sur laquelle sont inscrits l’identifiant numérique de l’oiseau (ici, 268857) et le nom du muséum du pays où l’oiseau est bagué (ici, muséum Berlin).

Grâce au retour du CV par le bagueur, nous savons que l’oiseau a été bagué poussin le 03/06/2011 sur l’île allemande d’Oland, près de la frontière avec le Danemark. Après les informations sur le baguage en lui-même, le CV contient la liste de tous les endroits où la spatule a été observée. Cela permet de retracer les grandes lignes de ses voyages, au fil des observations.

Ainsi, nous savons qu’au début du mois du juillet, GGfa/LGL a quitté l’île qui l’a vue naître pour rejoindre le continent. Elle est restée là-bas pendant au moins 1 mois. En octobre de la même année, elle est vue dans le Morbihan soit environ 1 100 km plus loin. Encore jeune, elle ne ressent pas le besoin de se reproduire. Elle y reste donc environ 1 an.

Pendant les quelques mois du printemps 2013, elle n’a pas été observée. Elle est certainement partie prospecter pour un éventuel futur nid. Peut-être même qu’elle s’est reproduite. Ce qui est sûr, c’est qu’en juillet 2013, elle est observée de nouveau en Allemagne, sur le même site que lorsqu’elle a quitté son île natale. Elle y reste au moins jusqu’en septembre.

Le 28 mars 2014, elle est de nouveau observée dans le Morbihan. Y a-t-elle passé l’hiver ou est-elle seulement passée en migration ? Difficile à dire. Le 17 avril, elle est observée 1 000 km plus loin en Allemagne. Elle répète ce schéma pendant plusieurs années, alternant entre des passages dans le Morbihan et le nord de l’Allemagne où elle s’arrête chaque année.

En 2017, son site de reproduction est enfin trouvé ! Elle est observée sur son nid sur l’île Hoje Sande, située dans un fjord à l’ouest du Danemark. Cette île se situe 130 km plus au nord du site où elle est née. On voit bien le grand rayon de dispersion des jeunes. Cela évite entre autres les problèmes de consanguinité et de surpopulation. En juillet, elle est retrouvée sur son site de halte en Allemagne. On peut alors supposer que les printemps précédents, elle nichait déjà sur le même site.

En novembre 2017, elle est observée en Espagne, près de Séville ! Cela fait environ 2 400 km depuis son site de reproduction.

Durant les années suivantes, elle poursuit ses aller-retour. Elle est souvent observée aux mêmes endroits. On peut noter une grande fidélité (ou une tradition ?) à certains sites propices pour les haltes ou l’hivernage.

En septembre 2019, elle est vue au Parc pour la première fois où elle passe quelques jours avant de repartir.

Cette année à nouveau, elle est observée au Parc. Nous avons hâte de recevoir son CV actualisé et de voir les voyages qu’elle a faits depuis la dernière fois !

Récemment, nous avons aussi eu le retour d’une autre spatule baguée en Espagne en… 1996 ! En revanche, c’est une grande timide. Elle n’a été observée que 10 fois, dont 8 fois en Espagne (entre février et mars) et une fois en Mauritanie (en décembre), où elle passe probablement l’hiver. Son observation au Parc durant la période de migration indique qu’elle niche plus au nord, sans que nous puissions toutefois être plus précis.

En retraçant ainsi les parcours des oiseaux, on peut en apprendre beaucoup sur leurs déplacements et les dynamiques de populations. On peut aussi identifier les zones propices aux haltes, hivernages et reproductions.

Texte : Quentin Libert / Illustration : Gabriel Le Du