Évènement ornithologique sur notre littoral, un juvénile de Pygargue à queue blanche est de nouveau observé au Parc du Marquenterre depuis le 2 février. Il avait été observé en baie de Somme par Benjamin Blondel dès le 1er février. Il sera vu au moins jusqu’au 4 février.
Son plumage sombre est différent de celui, assez clair, qui avait été observé durant une dizaine de jours à partir du 6 octobre 2024. Celui-ci, un mâle, possédait des bagues de couleur posées quand il était poussin dans un nid aux Pays-Bas sur le polder de Flevoland, près de la renommée réserve d’Ostvaderplassen, le 21 mai 2024, où une douzaine de couples niche de nouveau depuis une quinzaine d’années.
Les guides du Parc du Marquenterre géré par le Syndicat Mixte Baie de Somme commencent à apprendre à bien connaître le comportement de ce grand aigle – jusqu’à 2,40 d’envergure et 7 kilos pour les femelles, plus grandes que les mâles ! En effet, la tête est toujours en mouvement et les yeux perçants scrutent le moindre geste d’une proie potentielle. Qu’une éclaircie apparaisse, permettant le discernement d’une prédation facile, et il se met en chasse de son vol lent et puissant. Certains guides l’ont croisé à quelques mètres, cela disons “décoiffe” ! Olivier Buffet, coordinateur à la Maison de la Baie de Somme, parle d’ailleurs de “paquebot volant” ! Il se nourrit aussi bien d’oiseaux d’eau, que de rats musqués ou de poissons et est bien volontiers charognard.
C’est la douzième donnée sur le Parc depuis 1973, et ce grand aigle est maintenant observé presque chaque année depuis 2018. On retiendra sur le site protégé l’hivernage de deux immatures du 28 octobre 1982 au 6 février où les guides de l’époque ont noté de nombreuses informations sur son comportement, notamment sa prédation (lapin, foulque, limicoles blessés…). Deux jeunes vont aussi hiverner sur le site du 28 octobre 2018 au 10 février 2019, attirant alors de nombreux observateurs. Du 3 novembre 2020 au 17 janvier 2021, un oiseau bagué en Saxe allemande à la frontière polonaise hiverne de nouveau sur le Parc. Mais des souvenirs bien plus anciens existent aussi : entre 1850 et 1900, le Pygargue était régulier en baie de Somme. En 1860, 5 oiseaux se nourrissent sur un cadavre de vache (!!!) sur la plage de Saint-Quentin-en-Tourmont, et 6 sont notés en 1932 en baie de Somme !

Cet immense rapace qui avait disparu comme nicheur en France (en Corse autour de l’étang de Biguglia) depuis 1956, hiverne régulièrement surtout en Camargue et sur les grands lacs champenois, avec seulement une quinzaine d’oiseaux chaque année pour le pays. Depuis 2011, un couple est revenu nicher en France sur le vaste étang lorrain de Lindre, puis un deuxième couple en 2020 au Lac du Der entre Reims et Saint-Dizier, et maintenant aussi un couple en Brenne et en Sologne.
L’espèce reste très rare au niveau européen avec une population en augmentation estimée à 3550 couples dont la moitié en Norvège. Il fut réintroduit en Ecosse et sur l’île de Wight en Angleterre avec le relâcher de jeunes oiseaux prélevés dans leur nid en Norvège, où la population est la plus florissante. Des programmes de réintroduction ont lieu aussi en Irlande et en Suisse ainsi qu’en France sur les bords du lac Léman où quelques oiseaux ont déjà retrouvé l’état sauvage. Tous ces oiseaux sont, pour les jeunes, de nouvelles rencontres potentielles pour notre région ; les adultes en revanche sont sédentaires et très casaniers, et ne nichent pas avant 5 ou 6 ans. Ce sont donc les couples des Pays-Bas et le nouveau couple belge qui risquent de nous “envoyer” chaque hiver leurs juvéniles à la recherche de territoires d’hivernage favorable !
La présence en stationnement prolongé du Pygargue est strictement liée à l’existence de vastes zones humides, peu dérangées et très riches en nourriture. Ce rapace au vol lent échoue en effet souvent dans ses captures d’oiseaux d’eau et cherche de grands territoires riches en proies faciles. Il est en cela un indicateur de la qualité et de la richesse d’un milieu, un “label rouge” en quelque sorte, ce qui est très valorisant pour notre région. Cela récompense des années d’efforts de protection et de gestion du site du Conservatoire du Littoral et justifie la renommée de notre territoire pour le tourisme ornithologique.
Texte : Philippe Carruette / Illustrations : Alexander Hiley