Parfois rares, souvent drôles, toujours de bon augure : découvrez ici les oiseaux qui nous ont rendu visite

Novembre marque la fin de la migration des Spatules blanches. Si aujourd’hui plus de 1000 individus hivernent en France, la grande majorité des oiseaux de l’ouest de l’Europe partent en Afrique, du Maroc à la Guinée Bissau, avec les effectifs les plus importants en Mauritanie, au Sénégal et au Niger. Quelques oiseaux hivernent désormais en Belgique et aux Pays-Bas, mais le Parc du Marquenterre reste l’un des sites les plus nordiques pour un hivernage conséquent de l’espèce qui a débuté en 1995. Auparavant les quelques oiseaux qui tentaient leur chance ici ne survivaient pas aux vagues de froid, ou quittaient finalement le secteur en décembre pour gagner le golfe du Morbihan. 

Le 3 novembre 80 Spatules étaient encore présentes au poste 3, avec une majorité de juvéniles dont certaines baguées aux Pays-Bas. C’est un record pour la période (maximum de 64 le 10 novembre 2018 et 62 le 3 novembre 2011). Il reste néanmoins peu probable que la totalité de l’effectif reste tout l’hiver ; comme à leur habitude, dès les premières gelées, une partie des Spatules se dirigera plein sud. L’hivernage en constante augmentation tourne normalement autour de 30 à 40 oiseaux. Alors profitons bien de ce beau regroupement !

Texte : Philippe Carruette / Illustration : Alexander Hiley

Jeudi 7 octobre, après des journées de pluies et de coups de vent, les conditions s’améliorent, gage pour nous de moments favorables à la migration. En matinée, dans les sentiers, les cris de contact des passereaux se font de nouveau entendre. 166 Spatules blanches stationnent au poste 7 dans de belles lumières, dormant ou faisant leur toilette, un chiffre encore important en ce début d’octobre. 

En début d’après-midi, surprise : plus de 450 oiseaux sont présents au même endroit ! Des vols en migration se succèdent au-dessus des digues ou des pinèdes. Attirées par la “masse blanche”, certaines se posent, d’autres continuent leur voyage. Un minimum de 514 oiseaux est finalement compté. Les Spatules sont toutes posées ensemble, à faible distance. En baie de Somme, Clément Parissot en compte 220 en migration vers le Sud, en cinq vols. 

Le record en stationnement simultané sur le Parc était de 474 le 4 août 2021, et 469 le 5 août 2015. Ce chiffre de 514 est aussi exceptionnel pour la période, le pic de la migration pour les oiseaux nordiques étant dans la dernière décade de septembre. Ce décalage est imputable à une reproduction tardive due aux pluies et aux coups de vent de juin et juillet, et à des conditions défavorables fin septembre pour les habituels départs.

Mais il est aussi indéniable qu’un nombre plus important d’oiseaux à tendance à partir de plus en plus tard des colonies du Benelux, comme l’atteste la tendance à l’augmentation des stationnements en octobre sur le Parc (maximum de 188 le 4/10/2019, 141 le 3/10/2014, 120 le 4/10/20, 135 le 8/10/18, 58 le 3/10/2016, 72 le 3/10/15, 80 le 3/10/2013, 34 le 7/10/2013). Au moins 30 oiseaux étaient porteurs de bagues colorées (Pays-Bas, Allemagne, Danemark…).

Texte : Philippe Carruette / Illustrations : Alexander Hiley

Ce week-end de début octobre, la météo n’était guère lumineuse. Près de 330 Spatules faisaient le gros dos, bloquées dans leur migration vers la Mauritanie ; quelques Geais des chênes et Pipits farlouses tentaient bien de migrer, le vent du sud leur donnant des ailes malgré la pluie… 

La surprise nous est venue du poste 8, dans la partie terminale du Parc. Dans les prairies qui n’ont cessé d’être humides, un petit échassier au comportement étrange est repéré par Cécile Carbonnier, guide naturaliste du Parc. Il s’active de manière particulièrement “speed”, ce qui attire aussitôt l’attention. Il a un aspect de jeune Chevalier gambette aux pattes jaunes, mais en plus “dandy élégant”, avec une petite tête de sylvain aux zones inférieures claires – une petite bouille de “gentil”, comme dirait Delphine Gerdei, une autre guide du Parc – de longues pattes sveltes version “échasse raccourcie”, et un bec fin rappelant celui du Chevalier stagnatile. Il capture les insectes dans la végétation inondée à la manière de l’Aigrette garzette, en les repérant à la vue et en se précipitant sur la proie potentielle. La tête paraît sans cesse en mouvement. Un Chevalier arlequin à proximité donne une idée de la taille, entre le Chevalier sylvain et le Chevalier gambette. Moralité : c’est un puzzle vivant qui a piqué de belles caractéristiques à bien des voisins ! 

Cela va permettre de déterminer un juvénile de Chevalier à pattes jaunes (Tringa flavipes). Ce petit limicole est donc un Américain qui est né dans les tourbières et clairières des forêts boréales du Canada et d’Alaska. Un habitat semblable à son cousin le Chevalier sylvain européen. Comme tout bon limicole made in USA, il doit normalement hiverner du Golfe du Mexique à la Terre de Feu, en Amérique du Sud. Les dernières fortes dépressions sur l’Atlantique lui ont fait quelque peu dériver sa route migratrice, lui faisant traverser l’océan pour arriver au… Marquenterre ! Il s’est peut-être arrêté, entre deux, sur un bateau, avant de se reposer à Ouessant ou à Belle-Ile-en-mer comme premiers somptueux contacts avec notre vieux continent… 

Avec des vents porteurs de sud-est, les petits échassiers particulièrement puissants en vol battu, sont capables de parcourir des distances considérables sans arrêt. Des Barges rousses ne font-elles pas Alaska Nouvelle Zélande d’une seule traite, en volant 8 jours et 9 nuits sans arrêt ? Les plus fatiguées s’arrêteront dans les îles de l’archipel d’Hawaï ! En tout cas, visiteurs néophytes du site du Conservatoire du Littoral ou chevronnés venus exprès, parfois eux aussi de loin, ont pris grand plaisir en compagnie des guides naturalistes du Parc à observer de ce jeune poids plume de 80 grammes capable de traverser l’Atlantique, sans rames ni voiles mais tout de même à la force du vent. Un rayon de soleil de courage en ce week-end pluvieux. Mais ces oiseaux perdus le sont aussi pour l’espèce : isolés, il est bien plus qu’improbable qu’ils effectuent le chemin inverse vers le Nouveau Monde où il sont nés…

Chaque année, le Petit chevalier à pattes jaunes n’est observé qu’entre 3 et 10 fois en France, principalement en migration postnuptiale. En 2021, il a été vu, jusqu’à présent, à 5 reprises (Gard, Vendée, Pyrénées Atlantiques…). C’est la troisième observation sur le Parc du Marquenterre depuis sa création en 1973 (1 oiseau du 5 au 8 août 1981 et 1 le 11 juillet 1984). Il a été croisé aussi dans l’Aisne en 1978 et, plus récemment, en 2010.

Texte : Philippe Carruette / Illustrations : Pascale Bécu, Marion Mao

Voici un petit limicole bien charmant à l’aspect trapu, que vous avez déjà probablement observé le long de notre littoral français. Comme son nom l’indique, il cherche sa nourriture dans la laisse de mer en déplaçant les galets et les algues. Son bec pointu lui permet d’attraper les petits invertébrés marins (crustacés, mollusques…).

De moeurs assez sociables, on peut le trouver aussi avec d’autres espèces telles que les bécasseaux et les gravelots. Appartenant à la famille des Scolopacidés, avec les Charadriidés, ils forment un groupe d’oiseaux nommés les limicoles, petits échassiers qui “habitent la vase”.

Grand migrateur, en période nuptiale – période de reproduction – il part nicher dans les terres arctiques. Son plumage est alors composé d’une multitude de couleurs chatoyantes. Après la nidification, celui-ci redevient beaucoup plus terne. Nous pouvons le retrouver en hiver sur nos côtes européennes, mais certains n’hésitent pas à aller jusqu’en Mauritanie !

Texte et illustrations : Florian Garcia

Comme chaque année, deux couples de Bihoreaux gris ont niché dans la héronnière. Les oiseaux adultes y sont observés pour la première fois le 10 mai. Des transports de matériaux de construction du nid sont vus le 14 mai et le 4 juillet, et un nourrissage le même jour. 

Mais les oiseaux finissent par être de plus en plus discrets. Pluies et coups de vent de juillet nous font craindre un total échec de la reproduction… Et pourtant, le samedi 21 août, lors du premier stage ornitho de l’année, trois jeunes Hérons bihoreaux sont observés en vol toute la journée ! Un juvénile stationne régulièrement au poste 10, ou aux abords du petit plan d’eau près de la mangeoire. Les petites plumes duveteuses sur la tête, lui donnant un certain « style punky », laissent présager un envol tardif, signe probable d’une couvée de remplacement

Grand amateur de batraciens, discret et appréciant les endroits ombragés, ce petit héron crépusculaire aux yeux rouge cerise pour l’adulte se nourrit surtout en soirée et de nuit. Son vol souple au ralenti avec des ailes arrondies fait d’ailleurs penser à celui d’un rapace nocturne.

Le Bihoreau gris reste un héron plutôt méridional, rare en Picardie où il niche quasiment exclusivement sur le littoral et en haute vallée de la Somme. La population française fluctuante est de l’ordre de 3400 couples surtout en vallée de la Garonne, en Camargue, ou dans la plaine du Forez.

Texte : Philippe Carruette / Illustrations : Jean-Paul Cousin, Cécile Carbonnier

Samedi 24 juillet, le premier Balbuzard pêcheur est observé en baie de Somme et survolant le Marquenterre. Ce petit aigle pêche aussi bien en mer que sur les lagunes du Parc. Grâce aux bagues couleurs posées sur les poussins au nid, on sait que les oiseaux observés sur notre littoral peuvent venir du nord de l’Allemagne ou d’Angleterre, où des individus ont été réintroduits depuis les populations écossaises. 

Ce passage migratoire peut commencer dès mi-juillet (15 juillet en 2005, 25 juillet 2015, 12 juillet en 2016) avec des oiseaux immatures, ou des adultes ayant échoué dans leur nidification ou non reproducteurs. Aux mois d’août et de septembre, on peut assister, certaines années, à de spectaculaires scènes de pêche – jusqu’à 4 oiseaux juvéniles ensemble en septembre 2016 – au poste 1, avec la capture de Mulets. Leur présence va se poursuivre jusqu’à début octobre avec d’exceptionnelles observations hivernales (une le 17 décembre 2012). 

L’augmentation des durées de stationnement de juvéniles pourrait un jour amener à une future nidification de cette espèce en extension en France continentale, qui niche au plus proche dans l’Essonne. Néanmoins, les observations et surtout les stationnements prolongés de printemps restent encore peu fréquents.

Texte : Philippe Carruette / Illustration : Eugénie Liberelle

Les premiers cigogneaux ont quitté le nid le 6 juillet. La semaine du 20 au 26 juillet, très ensoleillée, semblait favorable au départ de tous les juvéniles vers la péninsule ibérique, voire l’Afrique de l’Ouest. D’habitude, après le 20 juillet, la majorité des jeunes ont fait leurs adieux au Parc. Mais cette année les oiseaux ont pris beaucoup de retard…

Retard « corporel » d’une part, du fait du manque d’alimentation dû aux gelées tardives, et aux fortes pluies et tempêtes en mai. Retard « sportif » d’autre part : on remarquait bien que les entraînements au vol des cigogneaux étaient moins fréquents que les années précédentes, comportement pourtant indispensable à l’acquisition de la maîtrise de leurs grandes ailes, et au succès des premiers envols. De plus, beaucoup de nids n’abritaient qu’un seul jeune, qui faute d’émulation s’exerçait avec moins d’assiduité qu’une nichée de quatre ou cinq ! 

La semaine capricieuse de fin juillet, avec rafales et forte pluviométrie, ne motive pas encore au départ. Les Cigognes ont besoin de courants d’air chaud et de bons vents porteurs pour utiliser le vol plané, vital pour elles. Peu musclées, le vol battu reste en effet très limité en durée, et fort consommateur d’énergie pour cette espèce.  

Texte : Philippe Carruette / Illustrations : Nathanaël Herrmann

Le Grimpereau des jardins est certes localisé, mais assez commun sur le Parc en période de nidification, où la ponte commence fin avril, souvent dans un nid bien dissimulé entre le tronc et son écorce décollée. Des couples peuvent aussi occuper les nichoirs adaptés à l’espèce, ou bien s’installer dans la charpente du toit de certains postes d’observation. Ils sont surtout présents autour du pavillon d’accueil, au fond des parkings et à la héronnière, où se trouvent les arbres les plus gros sur le tronc desquels les petits passereaux aux pattes courtes et aux doigts longs et griffus peuvent grimper en colimaçon. Le bec arqué du Grimpereau est particulièrement fonctionnel pour capturer petites araignées, chenilles et larves logés dans les crevasses des écorces

C’est en mars, avec le chant, et fin juin début juillet, quand les jeunes quittent le nid, qu’il est le plus remarqué sur les secteurs forestiers. Son dos a d’ailleurs la couleur de l’écorce des arbres et les rectrices rousses de sa queue sont rigides, pour assurer une plus grande adhérence au support. Un vrai passionné des arbres !

Texte et illustration : Philippe Carruette