Parfois rares, souvent drôles, toujours de bon augure : découvrez ici les oiseaux qui nous ont rendu visite

Le Martin-pêcheur est en ce moment la star des photographes et aussi, bien entendu, de tous les visiteurs. Au moins trois, peut-être quatre individus (deux adultes, et un ou deux juvéniles) fréquentent le Parc, se posant sur les supports mis spécialement à leur disposition : les clôtures et les saulaies en bordure de plan d’eau. 

En période de basses eaux, le Martin-pêcheur cherche à pêcher sur les secteurs les plus profonds (et donc pas au plus près des postes !) pour pouvoir capturer les petits poissons… sans toucher le fond lors de la plongée ! Ses proies cherchent aussi ces zones aux eaux moins chaudes et encore chargées en oxygène. C’est pour cela qu’on le voit souvent changer de poste de pêche pour apprécier la profondeur et la disponibilité des poissons. 

Et quand rien n’est vraiment favorable, il utilise une autre technique : celle du vol sur place. Notre flèche bleue se transforme alors en colibri (ou en Faucon crécerelle) pour faire un “vol en Saint Esprit” au milieu du plan d’eau, tête, yeux et bec en poignard tournés vers le bas. La descente est rapide, mais le succès n’est pas toujours au rendez-vous par rapport à la pêche en poste fixe, plus précise et efficace. De plus cette technique est très énergivore, car elle nécessite de rapides battements de ses ailes courtes et peu adaptées à cela… Et au prix que coûte l’énergie, il vaut mieux trouver un bon piquet bien stable ! 

Mais il faut bien faire comme les “grands” : quand au poste n°1 au premier plan un Martin fait du sur-place au milieu du plan d’eau salé… et qu’en arrière-plan un Balbuzard lui fait de l’ombre en adoptant la même technique… pour pas tout à fait la même portion de repas !

Texte : Philippe Carruette / Illustrations : Jean Bail

Mercredi 14 septembre : après-midi calme au Parc du Marquenterre, pas de grandes marées, de vent ni de tempête intempestive… À peine entrés dans le poste d’observation n°4, des cris étranges et inconnus nous accueillent. Sur le plan d’eau saumâtre, un mâle adulte de Canard colvert est en train d’agoniser du botulisme. Le bec dans l’eau, il bat des ailes par spasmes violents afin d’atteindre la berge pour ne pas se noyer, la tête étant impossible à relever (troubles psychomoteurs provoqués par la toxine en phase terminale). 

Autour de lui, une dizaine de Grèbes castagneux l’entoure au plus près. Ce sont eux qui poussent ensemble ces cris puissants et lancinants à l’intonation angoissée. Ils se distinguent des cris d’alerte, plus secs. La différence est nette aussi avec les appels nocturnes, moins répétés et plaintifs. Malgré une longue expérience sur cette espèce dans différents milieux (ballastières, cours d’eau, littoral…) c’est la première fois que nous entendons ce type d’appels. Ils ont l’effet immédiat de rameuter tous les Grèbes castagneux du plan d’eau, qui arrivent en nageant rapidement ou en courant sur les flots, mais pas en volant. Ils sont bientôt 32 autour du colvert qui se meurt. Nous ne percevons pas de comportement agressif de leur part envers le canard : aucun ne plonge, chacun s’approche tout près, pour l’observer, tête relevée afin d’observer les alentours, peut-être à la recherche d’un éventuel danger, ou simplement pour constater la bonne arrivée d’autres congénères ? Au bout d’une quinzaine de minutes, le colvert est parvenu à gagner la berge en roseaux ; la scène se cache à notre vue. 

Finalement le calme revient, avec la mort probable du canard, ou son immobilisme total. Progressivement, les Grèbes castagneux – ils sont plus de 40 – ressortent de la roselière en nageant lentement, seuls ou par deux, comme en procession, dans un silence et un calme total, pour se disperser sur la lagune : aucun ne court sur l’eau, seul un fait une brève plongée. Cela contraste fortement avec le stress antérieur. D’autres espèces sont présentes à proximité : Canards chipeaux et Sarcelles d’hiver, limicoles, Foulques. Mais eux ne prêtent aucune attention à la scène, et continuent de se nourrir ou se reposer. 

Ces cris que nous pourrions dénommer « appels de stress collectif déclenchant un ralliement » étaient selon nous à la fois déclenchés par l’incompréhension face à la situation du Canard colvert, sans que celle-ci ne représente de réelle menace, et la volonté d’appeler d’autres congénères, du fait de leur forte sonorité. Nous savons qu’en période de reproduction – mais aussi dans une moindre mesure en hivernage – le Grèbe castagneux a de fortes interactions entre individus. Des cris similaires avaient été entendus en 1984 en période de nidification au sein d’une colonie reproductrice sur un étang de Bergicourt (Somme). L’arrivée d’un chien en bordure de berge, puis dans l’eau près des nids, avait provoqué ces appels, suivis par l’arrivée des partenaires et de tous les couples autour du prédateur potentiel.

De tels comportements face à la difficulté d’un oiseau ayant un comportement anormal ont déjà été observés sur le Parc du Marquenterre. Pour se limiter à cette année, en juin, une Sterne caugek atteinte probablement de l’influenza H5N1 tombe brutalement dans l’eau, secouée de troubles et spasmes psychomoteurs. Plusieurs dizaines de couples d’Avocettes élégantes sont sur leur colonie de nidification. Ces mouvements désordonnés déclenchent aussitôt les cris d’alerte des limicoles : trois individus l’attaquent violemment à coups de becs et en vols rasants, jusqu’à l’éjecter à l’eau lorsqu’elle parvient à gagner la terre ferme. À la même période, face à une Mouette rieuse mourante, une Spatule blanche juvénile la tâtonne délicatement avec le bec durant de très longues minutes avant de la délaisser…

De nombreux visiteurs étaient présents dans le poste d’observation et ont pu assister à cet étrange comportement collectif des Grèbes castagneux. Les questions ont été nombreuses, notamment sur l’interprétation de la scène, et sur leur réaction face à cette situation critique et à la mort… Il fut difficile de trouver les mots, mais les oiseaux, par leurs comportements multiples et variés, y répondent eux-mêmes et montrent qu’ils n’y sont pas indifférents. On se rend compte que tout changement, tout comportement, toute action dans la nature ne sont pas anodins, mais ont un impact sur les espèces et individus, et déclenchent des réactions, non pas de l’indifférence ; mais cela demeure plus ou moins perceptible à nos yeux, qui ont encore tant à apprendre et, surtout, à comprendre.

Merci à Monsieur et Madame Régnier pour le partage des photos, et à tous les visiteurs du Parc du Marquenterre présents ce jour-là pour leurs nombreuses questions suscitées par l’observation de ce comportement.

Texte : Philippe Carruette / Illustrations : Pascal Regnier, Cécile Carbonnier

Le 13 juillet 2022, un drôle d’oiseau traverse la héronnière au Parc du Marquenterre. Son physique ressemble étrangement à celui du Héron cendré, mais en plus petit, et certaines parties de son corps sont blanches. Cette observation n’est pas sans nous laisser un sentiment de déjà-vu. En effet, en 2018, une observation similaire avait déjà été constatée pour la toute première fois sur le Parc : un cas rare d’hybridation entre le Héron cendré (Ardea cinerea) et l’Aigrette garzette (Egretta garzetta) sauvages.

Issu d’un couple mixte, il comporte des caractéristiques des deux espèces. Sa taille est intermédiaire entre les deux. Son dos est gris, mais il présente davantage de zones blanches que les individus observés en 2018. Sa poitrine, sa calotte, ses joues et son front sont blancs. Son cou est blanc tacheté de gris et une partie de ses rémiges est blanche également. Ses pattes sont gris jaunâtre et son bec, entièrement gris foncé, se rapproche plutôt de la forme de celui du Héron cendré, car moins effilé que celui de l’Aigrette garzette. En vol, de loin, sa morphologie ramassée, son vol lent et sa taille font penser à un Bihoreau gris ou à une Aigrette garzette “baraquée”.

Cette année, deux jeunes individus différents ont été observés, mais le nid n’était pas visible. Curieusement, par rapport à des juvéniles de Hérons cendrés ou d’Aigrettes garzettes purs, ces juvéniles semblent très discrets, se posant peu à découvert et cherchant le couvert à la héronnière.  Le premier jeune volant est observé le 13 juillet 2022. Le second, morphologiquement plus petit, sera observé volant le 19 juillet. Une Aigrette garzette viendra le nourrir sur une branche ce même jour, comportement plutôt attribué à cette espèce qu’au Héron cendré. Il sera ensuite revu le 22 juillet dans la héronnière. Ces observations sont donc les secondes au sein du Parc. 

En 2018, le nid est partiellement visible depuis l’observatoire et comprend trois jeunes. Le couple est formé d’un mâle d’Aigrette garzette et d’une femelle immature de Héron cendré. Le premier jeune est volant le 14 août alors que les deux autres sont encore non volants le 23 août. Ceci démontre une nidification très tardive avec une formation de couples fin-juin début juillet. L’hypothèse de l’union de ce couple mixte est alors le manque de partenaire femelle pour l’Aigrette garzette. En effet, des parades nuptiales de mâles d’Aigrette garzette (gloussements) avaient encore lieu très tardivement jusque fin juin, comportement inédit depuis la nidification de cette espèce dans la héronnière du Marquenterre en 1987. Il est donc probable que, faute de partenaire, un accouplement entre un mâle d’Aigrette garzette et une femelle de Héron cendré ait eu lieu.

En 2022, en revanche, une période de parades normale se terminant vers la fin mai a été observée et aucun manque de partenaires notable n’est à déplorer. Serait-ce donc le couple de 2018 qui aurait tenté à nouveau l’expérience ? Pour appuyer cette hypothèse, nous avons constaté que cette année, la nidification a eu lieu à des dates, certes tardives, mais dans la normalité des couples de ces Ardéidés. Pourtant, entre 2019 et 2021, aucun juvénile de ce type, bien reconnaissable, n’avait été observé. Ceci malgré une pression quotidienne d’observations sur ce lieu, quelque peu ralentie en 2020 par la crise sanitaire.

Ces cas d’hybridation entre Ardéidés sont peu fréquents. Un autre cas sauvage est relaté en Italie dans le delta du Pô, mais cela reste extrêmement rare. Ces hybridations ont plutôt lieu en captivité et entre espèces du même genre. Un premier cas d’hybridation entre Aigrette garzette et Héron cendré avait déjà été documenté en 1983 et 1985 au parc du Zwin en Belgique. L’hybridation avait eu lieu entre des individus en captivité contrairement aux individus observés au Parc, entièrement sauvages.

Texte : Lucie Ligault, Philippe Carruette / Illustrations : Thierry Nolland

Lundi 12 septembre, deux groupes de 22 Cigognes blanches quittent les prairies du Parc pour prendre les courants d’air chaud. La veille, au moins 32 oiseaux s’étaient posés sur le site pour y passer la nuit. Avec le temps maussade et les légers vents de mer, leur recherche de courants thermiques est des plus laborieuses. Elles ont du mal à trouver des ascendances, à prendre de l’altitude, testant différents endroits sur le Parc. Au point de vue, tous les observateurs se régalent de ce « départ à tâtons » : l’inné peut-être, mais l’apprentissage et l’interprétation des éléments à un moment donné certainement ! 

Il faut dire que depuis le départ le 31 juillet des juvéniles nés ici, puis des adultes nicheurs début août, nous étions particulièrement « privés » de cigognes ! Finalement, un premier groupe choisit de partir plein sud-est, entre vol battu et légers glissés en plané. Un autre groupe part plein est à basse altitude, en contournant la baie de Somme par la forêt du Marquenterre et les bas-champs. Nous sommes en effet en pleine grande marée, et la vue de la vaste étendue marine n’est guère rassurante pour un planeur toujours à la recherche de courants d’air chauds. 

Dimanche, des oiseaux bagués de Normandie (estuaire de la Seine), du Pas-de-Calais et du Parc (dont un oiseau bagué en 2004) avaient été identifiés. Finalement, seuls trois individus, peut-être plus fatigués que les autres pour tenter le vol battu, ont préféré ne pas se lancer dans l’aventure et sont encore observés le 14 septembre. À Organbidexka, dans les Pyrénées basques, déjà 454 Cigognes blanches ont franchi le col cette première quinzaine de septembre (dont un vol de 320 le 8 septembre) pour gagner l’Espagne.

Texte : Philippe Carruette / Illustrations : Jean Bail

Après le Chevalier à pattes jaunes l’automne dernier, un nouveau « made in USA » nous fait le plaisir de traverser l’Atlantique. Ignorant tout protocole, arrivé en toute discrétion sans déplacement ou annonce officielle, un jeune Bécasseau tacheté arpente tranquillement les berges du reposoir de marée haute ce mardi 13 septembre. Il n’est nullement impressionné par les 6000 Huîtriers pie et les centaines de Courlis cendrés qui se tiennent derrière lui. Pense-t-il que c’est pour lui tout ce grand rassemblement ? Ah ces Américains, tellement dans la démesure ! 

En tout cas, nous avons fait un véritable tour du monde géographique sur ces quelques mètres de vasières, puisque notre Américain était en compagnie de deux jeunes Bécasseaux cocorlis sibériens, de dizaines de Grands Gravelots norvégiens, de quelques Bécasseaux variables venus des bords de la Baltique, d’une Barge à queue noire islandaise, et d’une Barge rousse de Laponie ! Que d’émerveillements, de respect et d’humilité migratoire devant nos yeux ! Cette seule raison devrait largement suffire à protéger tous ces oiseaux parcourant des milliers de kilomètres, s’affranchissant des frontières.

Le Bécasseau tacheté niche en effet dans l’Arctique américain et canadien. C’est un grand migrateur nocturne qui va hiverner jusqu’au Chili et en Terre de Feu. Lors des tempêtes et ouragans imprévisibles, il peut traverser l’Atlantique et se retrouver en Europe : il est alors dérouté durant sa migration, et est poussé plein ouest par les vents tempétueux pour arriver sur le continent européen. Ce limicole aux ailes très fines et profilées – elles se tiennent croisées derrière la queue – est capable de grandes traversées marines, même si en cas de fatigue des oiseaux peuvent s’arrêter sur les pontons des bateaux. 

Il est relativement facile à reconnaître. Se tenant haut sur pattes, il est un peu plus grand que le Bécasseau variable avec des pattes verdâtres et une large bande pectorale grisâtre se terminant en petite pointe col en V ; très chic ! La queue en fer de lance est noire au centre, rappelant l’aspect du corps d’un jeune Bécasseau cocorli, avec les ailes tachetées en écailles de tortue. Le bec est assez long, légèrement courbé, noir à base verdâtre à orangé. 

De l’Alaska à la Baie d’Hudson, il niche dans la toundra au printemps au milieu des bouleaux nains et des lichens. Une population niche aussi en Sibérie orientale ; elle part hiverner après un voyage étonnant jusqu’en Océanie, Nouvelle-Zélande et Tasmanie. C’est le plus régulier des limicoles américains en France (entre 10 et 50 observations par an). Notons que la dernière venue de cet oiseau au Parc date du 28 septembre 2018 ; avant cela, nous ne l’avions pas croisé depuis 2009 !

Marée haute oblige, inutile de préciser que quelques minutes après la découverte, le poste d’observation était plein d’admirateurs, photographes, guides ou visiteurs néophytes pour l’accueillir dignement ! Tapis rouge pour l’Oncle Sam, on sait accueillir au Marquenterre ! Ce sont des grands moments de partage pour tous, et ici, quel que soit le niveau de connaissances, on a bien entendu le droit (et le devoir !) de partager les mêmes plaisirs des yeux du vivant !

Texte : Philippe Carruette / Illustrations : Florian Garcia

Aujourd’hui, parlons migration ! Il est vrai qu’à cette époque de l’année, beaucoup d’oiseaux migrent dans l’axe nord/sud : ils se sont reproduits dans les zones plus nordiques, et redescendent passer l’hiver plus au sud. Néanmoins, ce n’est pas le cas de tous, et certaines espèces ont des trajets migratoires particuliers que nous vous proposons de découvrir ici…

Pourquoi migrer ?

Le 21 juin est passé et les jours raccourcissent. C’est le signal pour beaucoup d’oiseaux que l’hiver et le froid arrivent, mais surtout que la nourriture va vite se raréfier. En effet, les oiseaux sont couverts de plumes qui les protègent du froid et de l’eau, entre autres. Ce n’est donc pas tant la météo qu’ils craignent, mais le manque de nourriture. Quand l’étang gèle, le Canard siffleur aura plus de mal à plonger pour chercher les algues qui poussent au fond. Et lorsqu’il fait froid, il devient plus difficile pour le Pouillot fitis de trouver les insectes dont il a tant besoin. Ils vont donc partir vers des zones plus propices pour s’alimenter. Le Canard siffleur n’aura pas à descendre très loin, la baie de Somme lui suffit. Ici l’eau gèle peu, et la neige recouvre exceptionnellement le sol. Le Pouillot fitis, quant à lui, devra partir jusqu’en Afrique pour trouver des insectes.

Au printemps, les contrées nordiques deviennent au contraire très propices. La végétation se développe vite et les insectes pullulent. La nourriture devient très facilement accessible et en quantité. Élever les petits dans ces conditions est plus simple que sur le lieu d’hivernage où la concurrence est plus forte. Beaucoup d’espèces remontent donc profiter de ces conditions idéales.

Il s’agit là d’un cas général. Mais beaucoup d’espèces ne suivent pas forcément ce schéma.

Migration altitudinale

Certaines espèces apprécient les milieux montagnards, comme le Crave à bec rouge, le Tichodrome échelette ou l’Accenteur alpin. Comme dit plus haut, en été les conditions sont réunies pour élever les jeunes sans trop de difficultés. En hiver en revanche, le froid arrive vite et la neige recouvre une grande partie du sol. Certains oiseaux entament alors une migration altitudinale : ils vont descendre dans les vallées où la nourriture est plus présente et accessible. Certains peuvent aller loin, mais ils restent généralement à quelques dizaines de kilomètres de leurs lieux de reproduction.

Un cas un peu particulier est celui du Grand Tétras. Lui aussi change en quelque sorte d’altitude, puisqu’il va passer du sol montagnard pendant l’été… à l’abri des arbres quelques mètres plus haut ! En effet, durant la belle saison, il trouve sa pitance au sol : baies, racines, etc. Mais avec l’arrivée de la neige, il grimpe dans les conifères pour se nourrir d’aiguilles ! 

L’hiver en mer

Pour d’autres espèces, la migration s’effectue en mer. Cela concerne surtout les espèces dites pélagiques (de haute mer) comme le Macareux moine. Pour se reproduire, il se rapproche des côtes et plus particulièrement des falaises côtières pour y installer son nid. Mais dès la reproduction terminée, il va partir en mer, loin des terres, où la nourriture est plus accessible. 

Certaines espèces d’Albatros nichant dans l’hémisphère sud poussent le procédé encore plus loin. Les jeunes ayant une croissance longue, les parents ne peuvent pas toujours enchaîner deux années de reproduction consécutives. Une fois le jeune indépendant, ils quittent donc les côtes et vagabondent en mer pendant un peu plus d’un an ! 

Les irruptifs

Certaines espèces ont une stratégie de migration moins prévisible. Les Tarins des aulnes, les Jaseurs boréaux ou les Pinsons du Nord, pour ne citer qu’eux, vont décider de migrer s’ils constatent que la nourriture manque. Ils peuvent donc partir tard, selon l’abondance en ressources alimentaires. Ils peuvent faire irruption chez nous en novembre ou décembre si besoin il y a. Les espèces dites “irruptives” sont souvent liées à une ou quelques espèces de végétaux qui fructifient en hiver. Le Tarin affectionne particulièrement les aulnes (d’où son nom, même s’il peut aussi trouver sa nourriture près d’autres essences). Les bonnes années où les aulnes produisent beaucoup de graines, ils ne migreront pas ou très peu. Les mauvaises années en revanche, ils devront partir pour trouver ailleurs leur nourriture. C’est dans ce dernier cas que leur présence est nettement constatée en France.

Un cas extrême d’espèce irruptive est le Bec-croisé des sapins. Il est dit “nomade”. Il dépend de la fructification des conifères. Comme celle-ci est irrégulière et non liée à une saison particulière, il va se déplacer pour suivre les arbres porteurs de fruits. Et s’il trouve un coin particulièrement productif à un moment donné, il décide de s’installer pour se reproduire ! Il n’est donc pas lié à une saison et peut nicher aussi bien en avril qu’en décembre, s’il trouve un “filon” de graines de conifères.

Texte : Quentin Libert / Illustrations : Alexander Hiley, Danielle Bliard, Eric Penet

Le Phalarope à bec étroit est un petit échassier nichant en Scandinavie et en Russie, avec quelques rares couples en Ecosse, partant en migration en haute mer pour ensuite traverser l’Europe par les terres en direction de la mer Noire et de la mer Caspienne, et hiverner en groupe le long des côtes du  Golfe persique (Mer d’Oman, golfe arabique…) et dans l’Océan indien… Un sacré et étrange périple migratoire en boucle ! Un exploit, finalement, pour un limicole du genre minus, puisqu’il ne dépasse pas 25 à 50 grammes ; à titre de comparaison, un Moineau domestique pèse 30 grammes ! Les Chevaliers guignettes qui passent à côté de lui paraissent presque obèses (mille excuses Solène…).

Il a la particularité rare que le mâle est moins coloré que la femelle, puisque celle-ci parade et est polyandre, laissant à monsieur le soin de s’occuper seul de la couvée et de l’élevage rapide des poussins. 

Un juvénile est observé sur le Parc depuis le 26 août 2022, profitant, avec les niveaux d’eau bas et la chaleur, de la manne d’insectes en surface au poste 9, en compagnie des Barges à queue noire, des Bécassines des marais et des chevaliers de toutes espèces. Attention, en bon pélagique, il n’est présent qu’à marée haute ! 

Notre globe-trotteur  a aussi une autre particularité, celle de nager activement en rond comme une toupie en provoquant des tourbillons pour faire remonter les micro-invertébrés en surface. Il a tout pour être parfait, efficace et moderne !

Observé sur le Parc tous les ans et demi de 1973 à 1993, ce phalarope est présent quasiment chaque année de 1994 à 2022. Comme au niveau national, la majorité des données concerne la migration postnuptiale. Mais les observations de printemps augmentent aussi (8) s’étalant du 28 avril (en 1986) à la mi-juin. Avec le réchauffement climatique, les périodes de forts vents augmentent, obligeant les oiseaux à fréquenter de plus en plus le site comme zone refuge. En France, on dénombre chaque année une cinquantaine de données de ce joli petit limicole. Ce qui fait du Parc du Marquenterre un des lieux les plus réguliers pour son observation !  

Texte : Philippe Carruette / Illustration : Cécile Carbonnier

Cet été, nous avons été témoins d’un événement plutôt positif. Comme chaque année, quelques couples d’Huîtriers pies ont niché sur le Parc. On a pu voir des individus couver aux postes 1, 3 et 6, notamment. Néanmoins, comme chaque année, la reproduction à été difficile. La prédation est forte sur les poussins, quelles que soient les espèces. Ils ont donc du mal à survivre.

Mais cette saison, le couple d’Huitriers du poste 1 a été surprenant. Depuis février, on a pu l’observer sur les îlots, gardant son territoire. L’arrivée de la colonie de Mouettes rieuses et mélanocéphales nous a fait perdre espoir de les voir se reproduire. En effet, ces dernières prennent beaucoup de place sur les îlots et le risque de prédation devient très élevé. Mais les huîtriers ont été longs à s’installer, véritablement ! Ils ont en fait attendu que la colonie commence à se disperser pour pondre et couver. Ils ont débuté aux alentours du 20 juin. L’attente a été longue, très longue… À tel point qu’on s’est même demandé s’ils ne couvaient pas des cailloux ! Finalement, presque un mois plus tard, le 16 juillet, un petit poussin est observé ! Chaque jour, les guides ont eu la joie de le revoir, toujours présent, toujours vivant. Les parents le nourrissent souvent, déterrant des vers et les posant devant le jeune.

Il a vite grandi et pris un plumage proche des adultes. Seul le bout du bec noir permettait de le reconnaître aisément.  Au bout de presque 1 mois, on a commencé à le voir faire de petits vols planés. Puis, finalement, le 14 août il est officiellement volant. Pendant quelques jours, les trois individus sont restés au poste 1, dans la grande prairie.

Le 21 août, les parents et le jeune partent en baie ensemble. Un adulte avec le jeune sont  revus le 23, mais plus rien depuis… Le jeune étant assez grand pour aller en baie où la nourriture est plus abondante, ils y resteront tant que possible. Les parents continueront à nourrir le jeune pendant encore quelques semaines. Il apprendra entre autres choses à ouvrir les coquillages avec son bec, technique fétiche des Huitriers qui demande beaucoup d’entraînement.

Pour le Parc, c’est une première depuis plus de 10 ans. Pour de nombreuses raisons (prédation, montée des eaux soudaine, abandons, dérangements, couples vieillissants etc.), aucun jeune d’Huitrier n’était arrivé à l’envol depuis de nombreuses années. Plus encore, un second jeune Huitrier grandit actuellement au poste 6, né le 12 août avec deux autres poussins qui n’ont pas survécu. Reste à voir jusqu’où il ira…

Texte : Quentin Libert / Illustration : Nathanaël Herrmann