Où l’on gazouille, piaille et babille sur la vie de nos chers oiseaux

Tandis que Foulques macroules et Hérons garde-bœufs nourrissent leurs derniers poussins nés sur le Parc, les migrateurs juillettistes déjà en partance pour le sud de l’Europe, voire l’Afrique, font une escale revigorante dans notre accueillante baie de Somme : Huîtriers pies, Bécasseaux sanderling, Barges à queue noire et Courlis corlieux nous apportent des nouvelles du Grand Nord où ils ont niché… mais pas sa fraîcheur ! Etrange d’évoquer leurs quartiers d’hiver en pleine fournaise, et pourtant : il est temps pour eux de prendre la route, car les jours raccourcissent, signant la diminution progressive de leurs ressources alimentaires. Sur les quelques étangs encore en eau, les cygnes se regroupent pour faire leur mue, tout comme les canards qui se faufilent discrètement dans la végétation, bien camouflés dans leur plumage d’éclipse… 

Pour plus de détails, vous pouvez consulter le dernier comptage :

-> Comptage du 16 juillet 2022

Un Grèbe castagneux a installé son nid flottant juste devant la palissade d’observation entre les postes 6 et 7. Il est en pleine couvaison, quand une famille de Cygnes tuberculés s’approche tout près de lui pour se nourrir de plantes aquatiques : voisinage de taille impressionnante, mais sans danger pour le grèbe et ses œufs. 

Or le petit grèbe aime sa quiétude et quitte son nid pour plonger et attaquer par dessous, comme un sous-marin de poche, les grandes masses blanches ! Les cygnes adultes soufflent, sautent dans l’eau et regardent en permanence la surface pour savoir où la “torpille” va sortir. Que se passe-t-il sous l’eau ? À voir l’ultra réaction des cygnes, il est fort probable que le grèbe aille au contact en piquant plumes ou pattes des intrus ! Dès que la femelle cygne s’éloigne, le grèbe reste la tête immergée devant son nid pour surveiller le mâle encore à proximité. Entre-temps, il a pris un instant pour cacher ses œufs avec des algues vu que la confrontation dure. 

Il faudra vraiment attendre que la famille au complet de Cygnes tuberculés se soit éloignée pour que le castagneux continue sa couvaison. Juste pour rappeler : le Grèbe castagneux pèse 150 grammes (mouillé!) et le Cygne tuberculé 10 kilos !

Texte : Philippe Carruette / Illustrations : Maëlle Hello, Philippe Carruette

Les premières Spatules blanches juvéniles ont décollé de la héronnière le 24 mai. Comme à leur habitude, les adultes les amènent “découvrir le monde” dans les vastes prairies et marais d’eau douce du fond du Parc (selon les saisons, surtout au poste 3 et au poste 7). Cette année a lieu un peu de changement avec des regroupements d’oiseaux sur le plan d’eau en tout début de parcours, bien à découvert, le long des sentiers des visiteurs et des groupes scolaires. Certaines après-midis, ce sont jusqu’à plus de 40 oiseaux qui y sont posés ! 

Voilà une occasion rêvée pour une observation encore plus poussée du comportement des jeunes recrues ailées du Parc. Il est vrai que quand on est né à 20 mètres de haut dans une pinède, on a vraiment tout à découvrir ! Les premiers contacts avec l’eau que l’on touche délicatement, les premiers bains un peu submersibles dès que l’on a plus pied… pardon pattes, l’apprentissage de la quête de nourriture avec cet étrange bec rose qui donne un air “benêt”… 

Et puis les éternels harcèlements auprès des adultes afin de réclamer à manger en hochant la tête avec forces gazouillis de passereaux pour se faire remarquer. Les adultes cèdent bien (trop) souvent, et les petits peuvent récupérer dans la poche gutturale des parents une bouillie de nourriture plus ou moins digérée. Quand les parents refusent, jamais de violence, juste un refus de la tête, ou un sec coup d’aile semi-fermée. Pour, eux s’éloigner ne suffit surtout pas, leurs rejetons pots de colle les poursuivent à pattes ou en vol jusqu’à temps d’avoir satisfaction alimentaire ! 

Qu’est ce qui explique ces changements de lieu temporaire de repos ? Nul doute que les importants travaux de réouverture des milieux sur cet espace (6000 mètres cubes de sable et de vase veinés de rhizomes de phragmites ont été évacués !) ont favorisé le stationnement des oiseaux en général, qui  se sentent plus en sécurité. Sont-ce les mêmes couples qui prennent l’habitude d’aller chercher là des matériaux pour construire leur nid et qui y emmènent ensuite leur progéniture ? Les oiseaux étaient surtout présents l’après-midi lors des journées chaudes, ce plan d’eau s’avère aussi le plus proche des nids pour se rafraîchir. En tout cas, jamais de hasard, les spatules s’y trouvent bien et c’est certainement un des lieux de France où on peut observer dans de telles conditions cette espèce qui, certes en augmentation, reste localisée et symbole bien malgré elle des grandes zones humides préservées.

Texte : Philippe Carruette / Illustrations : Alexander Hiley

Juillet donne le top départ de la migration post-nuptiale ! Comme les coureurs du Tour de France, certains oiseaux redescendent du Danemark où ils ont niché, pour faire une petite escale chez nous. Mais pas d’arrivée aux Champs-Elysées pour eux : la route se prolongera jusqu’en Afrique de l’Ouest pour le gros du peloton, qui y retrouvera ses quartiers d’hiver. Souhaitons bon voyage aux Barges à queue noire, les sprinteuses venues d’Islande ! Pour d’autres, bien au chaud dans le gruppetto, il est encore l’heure de s’occuper des petits : nous attendons avec impatience les dernières naissances d’Huîtriers pies et de Grèbes castagneux. Les cigogneaux, quant à eux, s’entrainent à prendre les ascendants thermiques, car il faudra bien survoler la montagne avant de rejoindre la péninsule ibérique.

Pour consulter le classement général (et le dernier comptage), c’est ici !

-> Comptage du 3 juillet

Fin juin débute la période de baguage des jeunes Cigognes blanches. Un programme du Muséum de Paris (Centre de Recherches sur la Biologie des Populations d’Oiseaux) permet de suivre la population en expansion de ce grand échassier dans les Hauts-de-France et en Seine-Maritime. En Picardie, une soixantaine de couples nichent cette année. La quasi-totalité de ces couples est localisée sur notre littoral et en basse vallée de la Somme (35 couples) et de l’Authie (15 couples). Des couples s’installent aussi maintenant de plus en plus dans le Pas-de-Calais, et même dans le Nord (10 couples). Les Hauts-de-France, terre de Cigognes !

Naturellement, dans notre région, les couples de Cigognes blanches installent leur nid au sommet des grands arbres fourchus souvent morts, voire sur les pylônes électriques. Il n’y a pas de tradition de nidification sur les bâtiments. Ces nids, très hauts, sont inaccessibles au baguage. La plupart des poussins de cigognes sont ainsi bagués sur les nids construits sur les plateformes disposées à leur intention… mais aussi pour faciliter le travail des ornithologues bagueurs. Ils sont aisément accessibles avec une échelle ou un engin élévateur. 

À l’arrivée du bagueur, les jeunes font les morts au fond du nid. Leurs yeux sombres révulsés accentuent encore le stratagème face au prédateur potentiel. En effet, l’immobilisme évite bien souvent le risque d’attaque déclenchée par le mouvement. Les poussins sont bagués entre 6 et 7 semaines. Rondouillards (parfois plus de 3,5 kilos !), les plus âgés se mettent parfaitement debout et bougent leurs ailerons encore bien courts et flasques, même si les plumes noires des rémiges ont bien poussé. 

Les jeunes sont descendus du nid pour être bagués au sol en toute sécurité. Ils sont munis obligatoirement d’une bague en métal du Muséum de Paris avec un numéro unique pour chaque oiseau. Le bagueur pose également une grosse bague en plastique verte avec 4 grosses lettres en majuscule. Cette bague, très lisible aux jumelles ou à la longue-vue, permettra un suivi à distance de l’oiseau durant ses déplacements migratoires. 

On sait grâce à ces bagues que tous les jeunes nés dans notre région partent hiverner en Espagne (notamment autour de Madrid), au Portugal (région de Faro) mais aussi en Afrique (Mauritanie, Mali, Niger…). On connaît aussi parfaitement la route empruntée par nos oiseaux qui évitent la Bretagne et trouvent des arrêts favorables en Mayenne ou dans les Deux-Sèvres. Certains rares individus passent aussi par le sud-est (Champagne, Var) regagnant l’Espagne par le Languedoc-Roussillon. 

C’est généralement au bout de deux ans qu’ils rejoignent leur site de nidification, mais de plus en plus de cigognes reviennent dès le printemps suivant. Quelques-unes vont retrouver leur secteur de naissance, mais la majorité part nicher loin de leur lieu d’origine. Ainsi, des jeunes nés au Parc du Marquenterre sont désormais installés en Belgique, aux Pays-Bas, en Allemagne, en Vendée, en Loire-Atlantique et même… en Alsace pour un couple ! À l’inverse, sur le même site protégé du Marquenterre nichent des cigognes nées en Belgique, aux Pays-Bas et surtout originaires de Normandie où les effectifs atteignent aujourd’hui plus de 200 couples, notamment dans la Manche, l’Orne et le Calvados !

Les cigogneaux sont pesés et mesurés (bec, ailes, tarses…). Deux plumes sont prélevées pour des analyses génétiques en laboratoire, permettant de connaître le sexe, pour déterminer des orientations migratoires et de fixation entre mâles et femelles.

La Cigogne blanche se porte maintenant tout de même bien dans notre région. Mais n’ayons pas la mémoire courte. En 1979, seulement 11 couples nichaient encore dans toute la France ! Les mauvaises conditions atmosphériques printanières et la chute des nids sur les arbres morts sont des causes naturelles de régulation de l’espèce. Bien des sites lui sont encore potentiellement favorables, notamment dans les grandes vallées intérieures picardes. Michel Jeanson, fondateur du Parc du Marquenterre, qui a voué une grande partie de sa vie à la réintroduction de cette espèce, serait sans nul doute bien heureux de ce résultat.

Texte et illustrations : Philippe Carruette

La fin du mois de juin annonce déjà le terme de la saison de reproduction chez nos oiseaux nicheurs. Tandis que les parents Grèbes à cou noir transportent leurs derniers-nés sur le dos, à la héronnière cigogneaux et jeunes Hérons garde-bœufs s’envolent pour la première fois, s’exerçant cahin-caha à ce tout nouveau moyen de locomotion. L’apprentissage devra être de courte durée, car pour certains d’entre eux, le départ en migration approche…!

Pour consulter le dernier comptage, il suffit d’un petit clic : Comptage du 29 juin 2022

Aujourd’hui, nous vous proposons un texte original, poétique et engagé : le slam d’un de nos guides naturalistes, Jérémie Bernier, fervent admirateur d’un oiseau cher au Parc du Marquenterre… et qui est pourtant bien mal-aimé. Lisez, écoutez, appréciez !

Mort ou vif

La souffrance coule sur son visage comme l’eau ruisselle sur son plumage 

Il n’en méritait pas tant, le voilà qui erre sur les plages et les rivages 

Harcelé, détesté, refoulé mais quelle dette n’a-t-il donc pas encore payée 

Pourtant honnête et sage, le voilà accusé du plus grand braquage 

Recherché par toutes les autorités, une battue cette nuit est organisée. 

Les lampes torches et les chiens, les enquêteurs y ont mis les moyens 

Il trouve une cachette, sans toujours comprendre pourquoi contre lui ils s’entêtent 

La nuit progresse en même temps que la traque, plus ils approchent, plus monte le trac 

L’aube se pointe comme l’arme qui le braque, les sirènes retentissent, c’est la fin de la traque 

Bientôt la déferlante de questions, oppressé par des journalistes en mal de sensations 

Pourquoi avoir commis un tel génocide ? Quelles sont les motivations de cet infanticide ? 

Son esprit se perd et s’embrouille face à la pression qui s’est accentuée

Il ne sait plus vraiment son esprit est torturé, est-ce lui qui les a tous tués ? 

Le jugement commence demain avec des juges corrompus assermentés 

Le public convaincu de sa culpabilité attend de le voir tomber 

Enfin le début de l’audience, terrorisé par les huées, il prend place sur le banc des accusés 

Entre bientôt le premier témoin, un homme de mer habitué aux vents marins 

Placé devant les jurés, il jure de dire la vérité, rien que la vérité 

L’assemblée boit ses premières paroles, on sent que le mensonge est bien ficelé 

Les heures passent comme les témoins qui peu à peu scellent son destin 

Puis le vent tourne et lui laisse une petite chance 

Un témoignage qui viendrait prouver à tous son innocence 

Notre oiseau noir espère en tremblant, il sent sonner en lui la délivrance 

Un poisson entre au tribunal en symbole d’une dernière corde à son arc 

Mais rires dans la salle quand ce dernier reste muet comme une carpe 

Dévasté, il sait que plus rien ne peut désormais le sauver 

Les juges rendent leur verdict, sans surprise, il est condamné 

Écoeuré de ce monde d’hypocrites aveugle de la vérité, il attend d’être exécuté 

Au fond de sa cellule abattu, il patiente sa peine 

Malheureux de voir cette société lui faire autant de peine 

Voilà le jour J, les ailes et le cou attachés sur un poteau 

Braqués sur lui sont les fusils et les appareils photo 

La trompette sonne et cinq coups de feu retentirent, pour soi-disant lui permettre de se repentir 

Et c’est ainsi le cœur innocent et le corps mourant que s’en alla le Cormoran.

Texte : Jérémie Bernier / Illustration : Alexander Hiley

Cet article a été rédigé avant l’épidémie d’influenza aviaire (H5N1) qui touche de nombreuses populations d’oiseaux sur notre littoral depuis la fin du mois de mai, notamment les colonies de Sternes caugek, pour lesquelles nous sommes particulièrement tristes et inquiets. 

Depuis le mois d’avril, une colonie de Sternes caugeks s’est installée sur le Parc, au poste 1. De plus, de nombreuses migratrices ont pu être régulièrement observées sur les bancs de sables du poste 3. Il s’agit d’un lieu privilégié de repos dans leur longue migration qui les amènera du sud de l’Afrique jusqu’à la Scandinavie. Nicheuse ou migratrice, la Sterne caugek est donc une habituée du Parc que l’on observe facilement.

Néanmoins, le 26 mai dernier a été particulier pour les sternes. En plus de notre chère caugek, ce sont 3 autres espèces de sternes qui ont pu être observées ce jour-là !

Sterne naine (Sternula albifrons)

La première surprise de la journée est une Sterne naine posée sur les bancs de sable du poste 3. Les caugeks semblaient géantes à côté de cette toute petite sterne ! Tout comme ses cousines autour d’elle, elle s’est arrêtée sur le Parc afin de faire une pause dans son voyage. Malgré sa petite taille, elle reste néanmoins une grande migratrice. Elle passe l’hiver en Afrique de l’Ouest, comme au Sénégal ou en Mauritanie. Au printemps, elle remonte en Europe, certaines jusqu’en Ecosse ou au sud de la Suède. Un trajet de plus de 5 000 km pour un oiseau de 40 grammes ! Elle fait régulièrement des haltes le long des côtes afin de se reposer et de manger. L’individu vu au Parc nous a d’ailleurs gratifié d’un joli spectacle en pêchant sur le plan d’eau sur lequel il se reposait !

Sterne pierregarin (Sterna hirundo)

En début d’après-midi, sur ce même îlot, une nouvelle sterne est repérée. Il s’agit de la Sterne pierregarin. Un peu plus grande que la Sterne naine mais toujours plus petite que la caugek, elle arbore des couvertures alaires plus sombres. Tout comme la Sterne caugek, elle passe l’hiver dans le sud et l’ouest de l’Afrique puis se reproduit en Europe, jusque dans les côtes nord de la Scandinavie. Cette sterne niche dans des milieux variés mais affectionne tout particulièrement les zones rocheuses, comme l’indique son nom : “pierregarin” est la forme contractée de “pierre” et de “garer” (au sens de rester, habiter). On la retrouve donc entre autres sur des bancs de galets et des îlots rocheux.

Sterne arctique (Sterna paradisaea)

En toute fin de journée, alors que nous cherchions la Sterne pierregarin pour une dernière observation, nous sommes tombés sur un individu. Mais quel étrange individu ! En effet, il s’agissait d’une Sterne arctique ! Les deux espèces sont très proches physiquement. La Sterne arctique se démarque par son bec plus court et entièrement rouge (pas de pointe noire comme chez la pierregarin) et le noir de la nuque descendant moins bas que chez sa cousine. Mais surtout, ce sont ses pattes très courtes : on les devine à peine quand elle est posée ! Heureusement pour elle, ce n’est pas son meilleur atout. Celui-ci réside dans son aptitude à voler. Encore plus que les espèces précédemment citées, il s’agit d’une très grande migratrice. Elle passe la moitié de l’année au pôle Nord et l’autre moitié… au pôle Sud ! Elle suit ainsi le soleil et le jour. L’hiver au pôle étant une nuit quasiment continue, le plancton disparaît, et les poissons s’en nourrissant aussi. La sterne migre alors vers le pôle opposé pour retrouver des journées longues, ensoleillées et surtout des eaux poissonneuses.

Texte : Quentin Libert / Illustrations : Nathanaël Herrmann, Léa Coftier, Florian Garcia, Lucie Ligault