Une fois encore, les grandes marées d’équinoxe nous ont offert un spectacle époustouflant, tant dans la partie maritime de la Réserve naturelle que sur les bancs de sable et prairies humides du Parc du Marquenterre. Des milliers de limicoles, acculés par le flot, sont venus se réfugier à quelques mètres des postes d’observation, pour le plus grand bonheur des visiteurs. Une dernière halte avant de rejoindre les terres africaines où ils passeront l’hiver… Les canards, de plus en plus nombreux sur les plans d’eau, nous rappellent que l’automne est là, bien que la météo chaude et ensoleillée nous perde un peu dans les saisons ! Pas de quoi perturber cormorans, aigrettes et spatules qui nous régalent de leurs pêches collectives. Envie d’en savoir plus ? Consultez le dernier comptage !
Où l’on gazouille, piaille et babille sur la vie de nos chers oiseaux
Samedi 16 septembre, un faucon est signalé sur la prairie centrale du Parc par Quentin Libert, guide naturaliste. De la taille d’un crécerelle aux ailes plus longues, son vol est particulièrement fougueux, alternant piqués fulgurants et vol stationnaire en surplace, ne laissant pas penser à un Faucon hobereau bien présent à cette période. Il capture des libellules, nombreuses en migration à cette époque. Posé, on remarque tout de suite ces taches noires aux yeux, sans moustaches.
C’est un Faucon kobez, probablement un jeune mâle. Cette espèce niche en colonie dans les steppes d’Europe de l’Est (Roumanie, Hongrie, et surtout Ukraine et Russie). Il a la particularité de faire une grande migration en boucle, hivernant en Afrique australe (Namibie) en passant à l’automne par le Bosphore et la péninsule arabique (9000 km de trajet !) et remontant par l’Afrique de l’Ouest, en gagnant la Libye, l’Italie, la Grèce ou l’Espagne pour son retour printanier tardif.
La France est aussi fréquentée dans sa moitié est par quelques dizaines à centaines d’oiseaux au printemps, avec un afflux remarquable en 2008 (plus de 4000 individus). Cinq observations ont eu lieu sur le Parc en 50 ans au printemps ; la dernière étant le 2 juin 2009. On compte également cinq observations à l’automne, la dernière remontant au 7 septembre 2013.
Le Faucon kobez est une espèce rare au niveau européen avec 30 à 60 000 couples dont la grande majorité en Russie.
Merci à Patrick Jollain et son épouse pour l’envoi de ces photos, et à l’équipe de Swarovski optique qui exposait son matériel ce jour au point de vue (tout était bien organisé… merci Nathanaël !) nous permettant de voir parfaitement cet oiseau rare et de le partager avec le public !
Texte : Philippe Carruette / Illustration : Patrick Jollain
En cette période d’après-reproduction, un phénomène particulier s’observe assez fréquemment. Alors que quelques Grands Cormorans commencent à pêcher, ils sont très vite rejoints par plusieurs Grandes Aigrettes, Aigrettes garzettes et parfois un Héron cendré. On assiste alors à une pêche collective.
En essayant d’attraper les poissons, les cormorans les effraient. Les poissons se réfugient à un endroit où ceux-ci auront plus de mal à les attraper : près des berges. Cela fait la joie des ardéidés qui profitent de cette abondance de proies rassemblées près d’eux pour les attraper plus facilement. Les bancs de poissons se retrouvent alors piégés entre le groupe de cormorans dans l’eau et la ligne d’aigrette sur les berges.
Ce phénomène se produit souvent au niveau des postes 3 et 9, où les berges sont proches et forment un entonnoir dans lequel les poissons se retrouvent vite coincés. La proximité des rives arrange bien les aigrettes qui disposent de place pour se poser.
La période est aussi particulière, ce comportement n’est pas ou très peu observé le reste de l‘année. Cela doit certainement être lié au cycle de vie des espèces de poissons présents dans l’eau. Les cormorans (qui initient la pêche collective) doivent en effet trouver des proies de taille convenable.
Texte : Quentin Libert / Illustration : Alexander Hiley
Que de changements en cette fin d’été sur le Parc du Marquenterre ! Les couleurs, la météo, les odeurs… Tout annonce l’arrivée prochaine de l’automne et de sa cohorte de grands voyageurs. Les canards sont de plus en plus nombreux sur les plans d’eau : Sarcelles d’hiver, souchets et pilets… Un peu de patience encore, bientôt leur plumage d’éclipse laissera place à de beaux costumes chamarrés. Les limicoles sont à la fête. Barges, combattants, bécasseaux et chevaliers investissent les bancs de sable émergés pour se reposer, ou bien glaner prestement leur pitance. Des groupes de Spatules blanches en provenance des Pays-Bas ou du Danemark se succèdent quotidiennement, et chaque jour nous relevons de nouvelles bagues colorées. Enfin, un Faucon kobez a même eu la gentillesse de venir nous tenir compagnie ! Cette saison si dynamique est tout simplement magique, alors profitons-en ! En guise de mise en bouche, venez donc picorer le dernier comptage…
Le Combattant varié, ou anciennement appelé Chevalier combattant, est de retour sur le Parc du Marquenterre. Quelques individus viennent faire des pauses sur nos côtes lors de leur migration. En ce moment, ils passent de leur aire de nidification (les pays nordiques comme la Finlande où la photo a été prise) à leur aire d’hivernage (les marais africains).
Durant l’hiver, le mâle et la femelle ont des plumages non distinctifs, mais en période nuptiale le mâle arbore ses plus belles plumes, formant une jolie collerette de couleurs différentes (rousses, blanches ou noires) qui joue un “rôle” lors de la séduction et la reproduction…
Celle-ci se passe en plusieurs temps. Les mâles, les premiers arrivés sur l’aire de nidification, se placent dans des “arènes” (leks en anglais) constituées d’un monticule de sable en hauteur, et attendent patiemment que les femelles arrivent.
Ils sont placés suivant leur rôle : les mâles arborant une collerette blanche sont les “satellites”, ils sont génétiquement pacifiques et se placent donc en périphérie de l’arène. Les mâles ayant des collerettes plus voyantes et colorées sont quant à eux les “résidents” ou “indépendants”, ils sont très territoriaux et se battent facilement pour acquérir une arène et se mettre en plein centre.
Les satellites ont un rôle d’attraction des femelles, car celles-ci ont une affection pour leurs couleurs ; donc plus un résident accepte d’avoir de satellites sur son arène, plus il a de chance qu’une femelle vienne s’y poser.
Quand une “combattante” arrive enfin, après parfois plusieurs heures d’attente, un satellite va alors se soumettre au résident et ils commencent une parade où l’indépendant montre en dansant sa dominance et sa beauté à la femelle.
Celle-ci étudie alors tout le petit monde sur l’arène et accepte ou non de s’accoupler. On pourrait croire que les satellites ne se reproduisent jamais, puisqu’ils ne sont là que pour aider. Mais ils sont malins : si le résident détourne une micro seconde son attention, le satellite va alors se faufiler et se reproduire avec la femelle en quelques secondes !
Si l’accouplement a fonctionné, la femelle fait un petit dandinement du postérieur ; et commence alors à construire un nid assez simple constitué de roseaux et brindilles dans les marais. Elle s’occupera seule de la couvaison et l’élevage des jeunes jusqu’à l’envol.
Texte et illustration : Raphaële Thilliez
La rentrée scolaire s’est très bien passée pour nos petits élèves du Marquenterre… Les Hérons garde-bœufs, derniers-nés de la héronnière, ont bel et bien quitté les nids, et s’entrainent à la capture de criquets et sauterelles avec assiduité. Les jeunes Barges à queue noire et Combattants variés, nés ce printemps en Scandinavie ou aux Pays-Bas, ont obtenu les félicitations du jury pour avoir parcouru avec brio leur tout premier vol migratoire ; souhaitons-leur de poursuivre sur cette belle lancée jusqu’à leurs quartiers d’hiver africains. On ne peut pas en dire autant des spatulons, ces petits cancres qui refusent de faire leurs devoirs : ils n’ont toujours pas appris à chercher leur nourriture par eux-mêmes, et continuent à quémander leur pitance aux adultes si patients. Les cygnons, quant à eux, ont pris leurs premières leçons de vol : cette matière n’est pas simple, surtout quand on pèse 10 kilogrammes, mais courage, les professeurs salueront votre belle persévérance ! Pour tout connaître des premiers jours de classe à l’école du Marquenterre, ouvrez vos manuels à la page du dernier comptage : Comptage du 4 septembre 2023
Gourmands comme vous l’êtes, vous avez certainement remarqué que les buissons commencent à être chargés de fruits : mûres, baies d’argousiers et de sureaux… La plupart mûrissent en fin d’été et début d’automne.
Beaucoup d’oiseaux, eux aussi, en raffolent : merles et grives, fauvettes, étourneaux, rouge-gorges… On a même déjà vu une poule d’eau escalader un roncier pour se remplir le ventre !
Ces baies constituent une aubaine pour les oiseaux migrateurs ! Chargées en sucres, elles leur donnent de l’énergie pour continuer leurs voyages. Elles apportent aussi beaucoup d’antioxydants. Ils contribuent à lutter contre le stress oxydatif qui accompagne les efforts musculaires intenses.
Les hivernants profitent aussi de ces baies. Elles sont souvent la seule source de nourriture quand le froid chasse les insectes et la neige cache les graines. Les antioxydants qu’elles contiennent renforcent aussi le système immunitaire, qui a tendance à s’affaiblir avec le froid.
Beaucoup d’entre elles sont de couleur vive (rouges ou oranges par exemple, comme l’argousier ou le houx), ce qui les rend plus facilement repérable. Une étude a d’ailleurs montré que les oiseaux savent reconnaître les baies les plus riches en antioxydants selon leur couleur. Cependant, certaines molécules telles que les caroténoïdes ne modifient pas la teinte du fruit. Or, des expériences ont montré que les oiseaux peuvent malgré tout privilégier les baies les plus riches. Le goût ou l’odorat pourraient alors intervenir pour les aider à choisir.
Vous l’aurez compris, ces baies sont importantes pour les oiseaux. Partageons-les !
Texte : Quentin Libert / Illustrations : Alexander Hiley
Lors du comptage matinal au Parc du Marquenterre, un Fuligule à bec cerclé mâle en mue est observé le 31 août, puis le 1er septembre. Ce canard plongeur est originaire d’Amérique du Nord où il niche du centre de l’Alaska au nord-est des Etats-Unis en passant par le Canada. Il hiverne le long des zones humides du Pacifique et de l’Atlantique jusqu’au Panama. Il n’est pas menacé dans son pays, voire en extension, ce qui a dû favoriser l’augmentation des observations en Europe.
Il ressemble fortement au Fuligule morillon, canard européen présent toute l’année sur nos grands plans picards. Cette espèce américaine s’en distingue facilement à sa tête plus pointue et à son long bec fuyant, décoré à son extrémité d’une bande blanche plus ou moins large. Il a, comme le morillon, un œil très jaune lui donnant toujours un air “étonné”, mais contrairement à son cousin européen, il ne possède pas de huppe.
Grand plongeur, il apprécie les gravières et les étangs, évitant les marais peu profonds ou les grands lacs à forte turbidité. Son régime surtout végétarien (graines, tubercules, laîches et autres plantes aquatiques…) fait qu’on l’observe souvent en compagnie des Fuligules milouins.
Les rares données sur notre littoral (Hâble d’Ault et vallée de la Bresle où sont observés des rassemblements de canards plongeurs) sont surtout en avril, correspondant à la migration de printemps sur le continent américain, où ils remontent du sud des Etats-Unis et du Mexique pour nicher en Amérique du Nord. Il est aussi parfois observé dans les grandes vallées de l’Oise, cette fois en hivernage (Pontpoint, Verneuil en Halatte…).
C’est le canard américain le plus observé en Europe (50 à 100 observations par an), avec 10 à 20 données chaque année en France, surtout dans le nord-est, où de nombreux canards plongeurs stationnent. Le Finistère est le département où l’oiseau est le plus vu lors des deux migrations, montrant l’origine sauvage de la grande majorité des individus qui, déportés par les vents, traversent l’Atlantique. Des Fuligules à bec cerclé ont ainsi été observés aux Açores et au Maghreb. C’est la seconde observation sur le Parc du Marquenterre depuis sa création en 1973, en faisant la 316ème espèce d’oiseaux sauvages vue sur le site.
Le devenir de ces individus égarés en Europe est incertain. On sait que des oiseaux bagués sont fidèles à leur lieu d’hivernage (Lac de Grand-Lieu en Loire-Atlantique, gravières de Poses dans l’Eure…). Il effectue aussi d’importants déplacements en lien avec les mouvements des fuligules européens avec qui il vit. Un mâle, porteur d’une bague nasale en 2006 au Lac de Grand-Lieu, a été contrôlé en Essonne en 2007, en Pologne en 2008, dans la Marne en 2009 et 2010 ! Par contre, il est peu probable que des oiseaux puissent repartir en Amérique du Nord, mais un oiseau bagué en Angleterre en mars est repris au Groenland en mai suivant.
En cette période de grandes marées, de nombreux visiteurs tant néophytes qu’ornithologues ou photographes ont profité de cette belle observation, partageant la joie des guides naturalistes toujours prompts à transmettre les surprises du vivant et de la migration.
Texte : Philippe Carruette / Illustrations : Gérard Longbien