Au pays des Sympétrums

Groupe de libellules bien particulier, le genre Sympétrum rassemble en son sein de nombreuses espèces qu’il est particulièrement difficile à différencier. Eh oui, s’il est assez simple de distinguer une Libellule déprimée en vol (du genre Libellula, avec son gros abdomen bleu pastel) d’une Libellule à quatre taches (du même genre, plutôt brune), les Sympétrums sont de petites princesses qui aiment être admirées sous tous les angles pour pouvoir les comprendre, les déterminer. Ainsi, l’identification la plus simple se fait en observant le thorax – plus précisément les sutures pleurales -, mais pour reconnaître certaines espèces, il faut parfois regarder attentivement la couleur des pattes, ou encore la taille de la moustache, à la base des yeux. 

S’il existe des Sympétrums très faciles à identifier, comme le Sympétrum noir (Sympetrum danae) qui porte bien son nom, ou le Sympétrum jaune d’or (Sympetrum flaveolum), dont la base des ailes est nappée de jaune-orangé, d’autres entrent dans des catégories plus sportives en termes de détermination. Le Sympétrum sanguin (Sympetrum sanguineum) et le Sympétrum à nervures rouges (Sympetrum fonscolombii) se différencient principalement à la couleur des pattes : noires pour le sanguin, nervurées de jaune, pour celui à nervures rouges ; il y a de quoi s’y perdre, il faut l’admettre ! Cette détermination particulièrement précise, au relent de migraine, nous sert notamment à faire la différence entre le Sympétrum strié (Sympetrum striolatum), très commun, et le Sympétrum méridional (Sympetrum meridionale).

Et c’est là que toutes ces personnes un peu folles sur les bords de chemins, à observer les roseaux, un filet à insectes dans une main et un livre de détermination dans l’autre (que vous pourrez d’ailleurs croiser sur les allées du Parc) prennent toute leur importance : pour nous, situés dans le nord de la France, le Sympétrum méridional n’est pas des plus communs. Fort de son nom, c’est surtout dans le sud de la France qu’on le retrouve, mais il s’étend d’année en année un peu plus vers le nord.

Ce comportement de remontée est caractéristique de cette espèce – mais aussi de beaucoup d’autres libellules – car ces petites bêtes se remettent d’un évènement bien particulier, arrivé il y a géologiquement très peu de temps : la dernière période glaciaire. Avec cette période de froid intense s’est produit une migration des Odonates (regroupant libellules et demoiselles) vers le sud, mais aussi la disparition présumée de certaines espèces, expliquant leur différence de répartition sur la planète : on les retrouve en plus grand nombre dans les pays tropicaux, et les continents ayant moins subi la glaciation, comme les Amériques. À titre d’exemple, si la France abrite 108 espèces d’Odonates, le Bélize (petit pays d’Amérique du Sud, plus petit que le Poitou-Charentes) en abrite à lui seul 230 !

Prenons donc le temps d’admirer comme elle le souhaite, cette petite libellule aux couleurs du crépuscule, car derrière ses sutures pleurales, sa moustache et ses pattes se cache l’un des plus grands prédateurs d’insectes, à l’histoire préhistorique complexe, colonisant les territoires perdus par le froid, tout ça, sur notre petit bout de polder, en baie de Somme.

Texte : Antoine Bance / Illustrations : Alexander Hiley

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