Des papillons ou un sort !

Ce 3 octobre 2024, c’était Halloween avant l’heure au Parc du Marquenterre ! Point de citrouille ni de fantôme dans les allées de la Réserve naturelle, mais l’apparition d’un effrayant crâne décharné à quelques mètres de hauteur, plaqué contre l’écorce grise d’un peuplier, que les toiles d’araignée ne semblaient pas inquiéter… L’identité de ce spectre ? Le bien-nommé Sphinx Tête-de-mort (Acherontia atropos), un immense papillon de nuit aux allures de chauve-souris. 

Ce géant parmi les insectes, dont l’envergure peut atteindre 13 centimètres et le poids avoisiner les 15 grammes pour les plus grosses femelles, se déguise façon frelon : son abdomen massif et velu est rayé en jaune et noir. Ses ailes antérieures brunes, émaillées d’écailles pâles, cachent au repos des ailes postérieures jaune d’or barrées de deux lignes sombres couleur corbeau. Mais ce qui le caractérise, c’est cet étrange motif ocre ressemblant à s’y méprendre à une tête de mort sur la partie dorsale de son thorax densément poilu. Brrr, de quoi faire froid dans le dos !

Mais pas de panique ! On inspire, on expire… Ce grand gourmand n’a rien d’un vampire. Son péché mignon ? Les bonbons au miel ! Ouf, les humains peuvent souffler. Quant aux abeilles, tremblez ! Car ce glouton se transforme en ogre dès qu’il s’agit de se gaver de sa friandise préférée : il n’hésite pas à se faufiler dans les ruches pour piller leur trésor, perforant les opercules de sa trompe robuste, et engloutissant, s’il le peut, son propre poids en délices sucrées. Le goinfre ! Et il ne craint même pas les caries !

Mais comment ce pirate peut-il dévaliser les réserves de nourriture des braves petites abeilles sans craindre les représailles ? Auraient-elles peur de sa tête de mort ? Que nenni. Ce roi de l’illusion est capable de se rendre chimiquement invisible, diffusant des phéromones imitant “l’odeur” de la cuticule (la “peau”) des hyménoptères. De plus, les “cris” stridents et les vibrations qu’il produit en sirotant son breuvage ressembleraient au bourdonnement émis par la reine, et empêcheraient ainsi l’attaque des laborieuses butineuses. À condition que n’éclate pas une révolte ouvrière, qui pourrait bien lui couper… la tête ! 

D’ailleurs, on a déjà retrouvé des cadavres de Sphinx piégés dans les ruches et recouverts de propolis. Les abeilles auraient-elles su monter des barricades ? Pas tout à fait : les papillons goulus, gavés jusqu’au trognon, la trombine barbouillée de cire et les antennes plumeuses toutes collantes, auraient tout simplement été incapables de reprendre leur envol après leur festin orgiaque… 

En revanche, pour ceux qui parviennent à redécoller, le voyage qui les attend décoiffe : en effet, ce grand voilier est connu pour parcourir des milliers de kilomètres en migration ! Parfaitement ! Alors qu’il vit et hiberne principalement en Afrique et sur le pourtour méditerranéen, son incroyable capacité de dispersion l’a déjà mené jusqu’en Islande, en Scandinavie et en Russie, mais aussi à plus de 3000 mètres d’altitude, dans les montagnes suisses. Qui sait, peut-être qu’un jour, ce vagabond troquera les bonbons au miel pour des douceurs au chocolat…?

Quoi qu’il en soit, pas question de donner des confiseries à ses chenilles : ces grosses mémères dodues, tantôt jaune citron, tantôt vert pomme, parfois brun cacao, se développent sur diverses plantes souvent toxiques, comme celles de la famille des Solanacées, appréciant particulièrement le feuillage de la pomme de terre. Une fois repues et arrivées au terme de leur croissance, elles s’enterrent dans le sol pour se nymphoser. C’est là que se produira la formidable métamorphose qui fera d’elles ce papillon spectaculaire aux mœurs fascinantes… 

Si l’étymologie de son nom fait froidement référence au royaume des morts – Achéron étant le fleuve des Enfers chez les Grecs, et Atropos l’une des trois Moires qui coupait le fil de la vie des mortels -, si la culture populaire l’a érigé en symbole de l’horreur – oui, c’est bien lui qui scelle la bouche de Jodie Foster sur l’affiche du Silence des agneaux -, voyons au contraire en ce seigneur des airs un superbe emblème du vivant, bien incapable de nous jeter des sorts, mais dont le sort nous concerne tous !

Texte et illustrations : Cécile Carbonnier

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