Aujourd’hui, nous vous proposons de vous plier en quatre pour admirer une modeste petite fleur qui pousse au ras du sol : la Saxifrage à trois doigts (Saxifraga tridactylites). Pour cela, rendez-vous dans les dunes grises bien ensoleillées du Marquenterre. Allez, on s’agenouille – en prenant soin de ne pas écraser notre merveille – on sort sa loupe de botaniste, et c’est parti pour un voyage féérique au pays des minuscules !
La Saxifrage à trois doigts est une adorable plante annuelle à la racine mince et fluette, mesurant entre 2 et 12 cm… lorsqu’elle est au sommet de son art. Au bout de sa tige grêle, solitaire et souvent rougissante – toutes les caractéristiques d’une grande timide ! – s’épanouit une corolle de petits pétales blancs au coeur de laquelle on distingue les étamines jaunes. Si ses premières feuilles sont spatulées, les suivantes possèdent généralement trois lobes, d’où son épithète « tridactyle ». Toutefois ce nombre peut varier, sans cela la botanique serait trop simple ! Leur aspect charnu, succulent, voire – disons-le franchement – potelé, nous rappelle que la Saxifrage doit faire des réserves pour survivre en terrain hostile.
En effet, cette courageuse pionnière apprécie les décors minéraux : elle s’épanouit en milieu ouvert sur des sols pauvres, secs et calcaires, et n’hésite pas à conquérir les substrats sablonneux ou à escalader les falaises et les murs, s’insinuant dans la moindre brèche. Elle aime la pierre, que voulez-vous ! Une vraie rupicole. Cette caractéristique lui a valu son petit nom, puisqu’elle est littéralement la “briseuse de rochers” (du latin saxum = rocher, et frangere = briser). Avec de rares lichens et quelques mousses, telle la jolie Tortule des sables, elle constitue donc la première strate végétale des dunes qui, en mourant, enrichira le sol et permettra l’installation de plantes plus gourmandes. Ainsi recule le désert…
Outre son allure crassulescente, la Saxifrage possède une autre particularité qui ne laissa pas de marbre le grand Charles Darwin en personne : ses feuilles sont couvertes de poils glanduleux riquiquis qui les rendent visqueuses et collantes… Un attribut original, pas si éloigné des pièges des droséras dans lesquels s’engluent les insectes ! Et si notre frugale « perce-pierre » était une plante proto-carnivore, pas encore capable de digérer la nourriture carnée, mais déjà équipée pour l’attraper ? Cette hypothèse reste à vérifier ; mais quoi qu’il en soit, ces petits poils semblent bien efficaces pour décourager les herbivores gloutons !
Les anciens, eux, virent dans sa faculté à « casser la pierre » un remède contre les calculs rénaux, et elle fut longtemps utilisée pour dissoudre les « cailloux » des reins malades. Une belle illustration de la théorie des signatures, ce mode de compréhension du monde selon lequel l’apparence des végétaux est censée révéler leur pouvoir thérapeutique…
Texte et illustrations : Cécile Carbonnier