Depuis quelques semaines, de drôles de formes gélatineuses en forme d’oreilles poussent dans les sous-bois du Parc. Vous aurez peut-être la chance d’en observer sur des branches mortes ou de vieux arbres.

Mais qu’est-ce que cela peut bien être ? Une nouvelle mutation aurait atteint les arbres du Marquenterre ? Non rien de tout ça. Il s’agit d’un champignon plus qu’intriguant.

L’Oreille-de-Judas, c’est son nom, est un champignon à la texture cartilagineuse et élastique, qui deviendra de plus en plus dur en vieillissant. Son sporophore – ‘’le chapeau’’ – ressemble énormément à… une oreille, vous l’aurez compris.

N’ayez pas peur de le toucher, cela en amusera plus d’un ! Il s’agit d’un champignon totalement inoffensif pour l’homme ; cuit il peut être consommé sans souci (néanmoins attention, cru il peut présenter une très légère toxicité).

Dans la casserole, vous aurez la surprise d’avoir à faire à un champignon sauteur ! Une pression se crée lors de la cuisson, ce qui peut le faire sauter comme un pop-corn.

Légèrement parasite de certains arbres tel le sureau ou le frêne, il est surtout un saprophyte, c’est-à-dire qu’il se nourrit de bois mort et participe donc à sa décomposition.

Contrairement à la grande majorité des champignons qui vont faire sortir leur sporophore en automne, saison tant attendue des cueilleurs, notre intrigante Oreille-de-Judas poussera toute l’année, l’hiver sera la meilleure période pour l’observer.

Texte et illustrations : Théo Le Barbanchon 

Ce soir, monstres et sorcières s’amuseront à se faire peur… mais les habitants du Parc échapperont aux mauvais sorts, en échange de leurs meilleurs bonbons : les cynorhodons. Ces jolies friandises toutes rouges sont en réalité le fruit – ou, pour être tout à fait exact, le faux-fruit des églantiers, ces rosiers sauvages du genre Rosa qui s’épanouissent sur les dunes ensoleillées du Marquenterre. 

Au printemps, leurs rameaux dressés, robustes et légèrement arqués, mesurant jusqu’à 3 mètres de haut, se parent de fleurs délicatement parfumées, souvent solitaires, parfois disposées en corymbe. Leur corolle est composée de 5 pétales rose pâle ou blancs. Mais gare à l’imprudent qui tenterait d’en faire un bouquet : les tiges sont équipées d’aiguillons crochus très piquants, véritable défense contre les cueilleurs et les gourmands. 

Commence alors le ballet des pollinisateurs, qui volètent d’étamine (l’organe mâle de la fleur produisant le pollen) en pistil (l’organe femelle à la base duquel sont blottis les ovules, protégés par les carpelles) et participent ainsi à la fécondation de notre rose.

Au cours de l’été, le réceptacle floral se métamorphose ; il prend la forme d’une petite urne ovoïde rouge orangé, toute lisse et charnue, de la taille d’une olive : le fameux cynorhodon ! À son sommet, on devine les restes desséchés des sépales, ces petites pièces foliacées qui se cachent sous les pétales de la fleur et composent son calice. Chaque faux-fruit renferme 20 à 30 akènes, les vrais fruits de l’églantier issus de la transformation des carpelles, mesurant à peine 2 millimètres et contenant chacun une unique graine

En octobre, notre bonbon arrive à maturité. Et quel régal ! La pulpe légèrement acidulée et astringente, très riche en vitamine C, se déguste en sirop ou en confiture. Outre ses qualités alimentaires, le cynorhodon possèderait des vertus médicinales qui en feraient un précieux remède contre les morsures des roquets, toutous et autres cabots. D’où cet étrange nom : il est littéralement la “rose des chiens” (kunos = chien, et rhodon = rose en grec ancien).

Mais attention ! Là encore, notre buisson épineux sait se montrer espiègle : les akènes sont munis de minuscules poils irritants, qui provoquent des démangeaisons insoutenables aux gloutons insouciants qui oublient de les ôter. Le majestueux rosier sauvage, symbole d’amour et de poésie, mérite alors son surnom plus trivial de… “gratte-cul” ! 

Texte : Cécile Carbonnier / Illustration : Alexander Hiley

L’automne s’est installé au Parc du Marquenterre, ouvrant officiellement la saison des champignons. Avec la douceur et l’humidité ambiantes, ces drôles d’organismes s’épanouissent çà et là, ouvrant l’appétit à plus d’un gourmet. Mais pas question ici de vous délivrer la recette de la plus succulente des fricassées ; nous n’établirons pas non plus la liste des petits veinards que les champignons peuvent sustenter. Non. Une fois n’est pas coutume, nous nous intéresserons à ce que “mangent” ces êtres passionnants. 

Car contrairement aux végétaux, les champignons ne sont pas capables de réaliser la photosynthèse, ce processus fascinant qui permet aux plantes de générer leur propre matière en utilisant l’énergie lumineuse, l’eau et le dioxyde de carbone. Comme nous, ils sont hétérotrophes, c’est-à-dire qu’ils sont contraints d’absorber des molécules organiques directement dans leur milieu. Et les stratégies ne manquent pas. Petit tour d’horizon des modes de nutrition de nos amis les champignons…

Champignons parasites : les malpolis

Ces sans-gêne ne demandent l’autorisation à personne : ils s’installent où bon leur semble sur le végétal ou l’animal hôte – bien malgré lui… – pour lui pomper sa matière organique sans aucun scrupule ! Ils se nourrissent ainsi de l’organisme parasité, et l’affaiblissent grandement, conduisant fatalement à sa perte si rien n’est fait pour déloger les squatteurs. Heureusement, ce sont aussi les moins nombreux !  

Un exemple : les champignons responsables des “rouilles”, ces maladies qui touchent certaines plantes vasculaires, laissant sur la face supérieure des feuilles de petites auréoles orange, et des pustules poudreuses sur le revers.

Champignons saprophytes : les alchimistes

C’est le gros du cortège fongique, à qui nous pouvons dire un grand merci ! En effet, ces champignons dégradent et transforment la matière organique morte ou en décomposition. Sans eux, nous serions entourés de cadavres et d’excréments et “la vie deviendrait impossible, parce que l’œuvre de la mort serait incomplète”, comme le formulait si justement Louis Pasteur. 

Un exemple : les coprins, qui se développent préférentiellement, voire exclusivement sur… les crottes ! D’où leur petit nom, copros signifiant fumier en grec.

Champignons symbiotiques : les amoureux

Symbiose mycorhizienne (mykes = champignon ; rhiza = racine) :  voici un exemple de relation qui ne peut laisser insensible.  Il s’agit de l’association intime que nouent un organisme chlorophyllien et un champignon. Le premier fournit au second les sucres dont il a besoin pour vivre ; en échange, celui-ci puise en profondeur l’eau et les nutriments indispensables à sa plante-hôte grâce au mycélium, ce réseau souterrain de fins filaments dont il est équipé, qui prolonge et densifie si ingénieusement le système racinaire de sa “moitié”. Les deux êtres retirent de cette union un bénéfice mutuel indéniable… Quelle belle histoire d’amour.

Un exemple : la truffe, le cèpe, la chanterelle, la girolle, la trompette de la mort… Allez, bon appétit !

Texte et illustrations : Cécile Carbonnier 

Notre jolie trouvaille du jour s’appelle Lysimachia tenella, ou Mouron délicat. Tout un poème. Cette petite plante vivace de la famille des Primulacées, mesurant entre 5 et 12 centimètres, guère plus, apprécie la vie au ras du sol. Ses fines tiges quadrangulaires rampent élégamment sur leur substrat, en épousant sa forme. Elles portent ça et là d’infimes feuilles vert tendre toutes rondes, opposées deux à deux, puis se redressent pour soutenir de charmantes fleurs rose pâle aux nervures plus sombres, en forme de clochette. 

De mœurs modestes, cette pionnière n’est pas une gourmande : au contraire, elle affectionne les milieux détrempés et ouverts, pauvres en nutriments, sur lesquels elle forme de délicats tapis rose tendre en été. 

Longtemps classée sur la liste rouge régionale de la flore vasculaire de Picardie, cette plante discrète donnait de bonnes raisons de se faire du mouron. Mais bonne nouvelle : depuis quelques années, son statut a été révisé par la communauté scientifique. Toutefois, ne nous réjouissons pas trop vite : des menaces pèsent toujours sur cette beauté fragile, qui n’a franchement pas l’esprit de compétition. Ses plus grands périls ? La pollution des eaux, leur eutrophisation et l’embroussaillement de son habitat. Elle demeure donc protégée dans notre région.

Texte : Cécile Carbonnier / Illustrations : Nathanaël Herrmann, Cécile Carbonnier

Herbe de Bacchus, cela vous parle-t-il ? Herbe de Saint-Jean peut-être ? Essayons Herbe à dents. Non plus ? Il s’agit du Lierre grimpant ! Cette plante porte de nombreux noms vernaculaires, liés notamment à la période à laquelle il était cultivé, ou encore à l’utilisation qu’on en faisait. En latin, on le nomme Hedera helix (Haerere = être attaché / Helix = enrouler, enlacer).

Faisons un bond dans le passé : Hedera a donné naissance au mot edre, dans un très ancien français. C’était au 10ème siècle, vous en souvenez-vous ? Au fil des siècles, le mot edre a évolué pour devenir iedre. Lui-même s’est transformé en iere. Ajoutons à cela un article devant le mot, et de l’iere voilà que nous obtenons : lierre !

Restons encore un peu quelques années en arrière. Voici un aperçu rapide de son incroyable épopée : il est arrivé sur Terre il y a plus de 100 millions d’années (au Crétacé, durant l’ère secondaire) quand le climat était tropical ; si votre mémoire vous fait défaut, vous êtes tout pardonné. C’est une des rares plantes à avoir résisté aux grands changements climatiques qui suivirent cette ère, et il fait aussi partie des rares lianes que nous trouvons en Europe. En Italie, certains spécimens ont un peu plus de 400 ans mais si le support s’y prête, il peut être millénaire ! Symbole d’éternité donc, mais aussi d’amour et/ou de fidélité du fait de son emprise forte et tenace autour de son hôte.

Le lierre, une plante qui nous veut du bien, vraiment ? Eh bien oui ! Mais avant d’essayer de vous en convaincre, voici de quoi redorer son image : cette liane arborescente, constamment à la recherche de la lumière, a besoin d’un support. L’arbre en sera un parfait exemple. Notre plante ne cherchera jamais à grimper jusqu’à la cime de l’être choisi, et en aucun cas elle ne l’étouffera. Cela reviendrait à la condamnation même de notre herbe de Saint-Jean. Tout au contraire, il existe une synergie entre ces 2 espèces : il protège le tronc des trop grandes variations de température. Il joue donc un rôle de régulateur thermique. Il est gage de bonne santé : il abrite une faune si riche qu’il est l’un des éléments essentiels à la biodiversité. Il régule les parasites, il sert d’abris pour les insectes. Ses fruits, qu’on retrouve en hiver, sont un précieux garde-manger pour les oiseaux. Également, c’est un très bon couvre-sol : il permet de maintenir une humidité au pied de l’arbre. Et enfin, faisons taire les on-dit une bonne fois pour toute : « On dit qu’il se nourrit de la sève ». Absolument pas ! Ce n’est pas un parasite mais une aide de vie précieuse ! Cet équilibre entre l’arbre et le lierre ne sera rompu que si l’arbre s’affaiblit par la maladie ou la vieillesse : son feuillage sera moins dense, ce qui permettra à la photosynthèse du lierre d’être améliorée et sa croissance n’en sera que meilleure.

Va-t-on enfin savoir en quoi il nous est utile ? Nous y voilà mais sachez-le, il y aura une déception certaine du côté des gourmands car il n’est pas comestible tel quel. Il est cependant fort utile en usage externe. Pour les problèmes de peau, par exemple. Avec les feuilles lobées (et non pas les entières) un macérat huileux* sera parfait mélangé avec des pâquerettes. Le lierre a aussi été testé et approuvé en lessive par quelques guides du Parc : c’est une plante qui possède des vertus moussantes et détergentes grâce à la saponine naturellement présente dans les feuilles.

Nous pourrions bavarder sur le sujet pendant de longues heures encore, mais contentons-nous, pour aujourd’hui, de ces quelques paragraphes. Et si le coup de sécateur vous démange, avant de porter le coup fatal, venez vous rafraîchir la mémoire en relisant cet article sur l’utilité incroyable de cette plante relique.

Petit bonus pour les plus observateurs : aviez-vous remarqué que certaines feuilles luisaient, brillaient plus que d’autres ? C’est dû à la couche de cutine qui les recouvre. Une sorte de cire imperméable !

* Macérat huileux : Une base d’huile végétale à laquelle on ajoute des ingrédients naturels selon les besoins (lierres, pâquerettes, pissenlits etc.) et qui y déverseront toutes leurs vertus pendant plusieurs semaines.

Texte et illustrations : Eugénie Liberelle

C’est en arrivant sur le Parc, dans la panne dunaire face au pavillon d’accueil, que vous pourrez observer cette discrète fleur aux couleurs peu habituelles et à l’odeur de girofle, l’Orobanche du gaillet (Orobanche caryophyllaceae).

Cette petite plante pousse en milieux sableux. Elle peut mesurer entre 15 et 60 cm et possède une quinzaine de fleurs de couleurs jaunes voire rosées se trouvant à l’aisselle de ses feuilles. Celles-ci sont réduites puisqu’elles sont sous forme d’écailles. L’Orobanche fleurit entre mars et juin. Elle est d’autant plus discrète qu’elle n’est visible à la surface du sol que lors de cette période de floraison.

Ses couleurs pâles sont dues à son mode de vie particulier. En effet, l’Orobanche est une plante holoparasite, c’est-à-dire qu’elle ne possède pas de chlorophylle et ne réalise donc pas de photosynthèse. Elle survit grâce à l’hôte qu’elle parasite, ici le gaillet dont elle est complètement dépendante. L’Orobanche se fixe à son système racinaire grâce à un organe spécialisé : l’haustorium. C’est par cet organe qu’elle prélève directement depuis les vaisseaux de son hôte, sels minéraux, eau et matières carbonées.

Ses graines présentes dans le sol ne vont germer qu’en présence de molécules émises par les racines de la plante hôte. La durée de vie des graines est plutôt longue, environ 10 ans. Malgré cela, elle n’est pas une espèce menacée en France, mais elle est considérée comme en danger sur le territoire picard.

Texte et illustrations : Lucie Ligault

Le long des allées fraîches et ombragées du Parc se dresse fièrement une jolie plante herbacée : l’Alliaire officinale (Alliaria petiolata). Cette Brassicacée bisannuelle se reconnaît à ses petites fleurs blanches disposées en croix à l’extrémité de sa longue tige robuste, ainsi qu’à ses feuilles en forme de cœur grossièrement dentées. Froissez-en une entre vos doigts, et inspirez profondément : reconnaissez-vous ce doux parfum d’ail ? C’est cette fragrance qui lui a donné son petit nom ! 

L’Alliaire est d’ailleurs parfaitement comestible : ses tiges sucrées rappelant le chou, ses racines au bon goût de radis et ses feuilles délicatement aillées relèvent à merveille pistous, salades et autres poêlées… à condition de les incorporer fraîches et finement ciselées, afin qu’elles ne perdent pas leur saveur à la cuisson. Ses graines peuvent également remplacer celles de la moutarde dans la recette du condiment du même nom. Si les fins gourmets adorent qu’elle leur chatouille le nez, les herbivores sauvages en revanche n’apprécient guère la piquante Alliaire : l’arsenal chimique responsable de son goût vif (les glucosinolates) est bel et bien destiné, à l’origine, à décourager les gourmands !

Notons que son utilisation dans la cuisine occidentale ne date pas d’hier. En effet, des traces de graines ont été retrouvées dans des dépôts de nourriture sur des poteries vieilles de 6000 ans. Quel plat servaient-elles à assaisonner ? La Préhistoire ne le dit pas !

Mais ses propriétés culinaires ont conduit les Hommes à l’introduire en Amérique. Fâcheuse idée : l’Alliaire est parvenue à s’échapper des cultures, et à conquérir tranquillement les sous-bois du Canada et des Etats-Unis, où elle est devenue par endroits la principale herbacée envahissante. Souhaitons que sa saveur piquante soit un jour au goût des herbivores du secteur, afin qu’ils contrôlent sa folle expansion. Décidément, la gourmandise…!

Texte et illustrations : Cécile Carbonnier

S’il y a des êtres vivants sur le Parc qu’on ne peut manquer tant ils sont nombreux et visibles, il en existe d’autres bien plus petits et plus discrets, passant souvent inaperçus aux yeux des visiteurs : les champignons. En omelettes, farcis, gratinés, pas de doute, ils savent nous mettre l’eau à la bouche. Mais avant de les passer à la casserole, avez-vous déjà pris le temps de les observer dans leur milieu naturel ? Leur taille, leur couleur, leur milieu de vie diffèrent beaucoup d’une espèce à une autre ; et leur forme également. C’est sur ce dernier aspect physique qu’un champignon actuellement présent sur le Parc mérite quelques explications.

Les géastres ou étoiles de terre (du grec geo = terre, et aster = étoile) possèdent une enveloppe extérieure, qui recouvre entièrement le champignon au début. Elle va, par la suite, éclater à maturité et se séparer en lanières qui s’étaleront en étoile. Puis ces lanières se recourberont sous le champignon, le soulevant au-dessus du sol sur lequel le géastre n’aura plus aucune adhérence.

Lorsqu’il est sous sa forme “étoilée”, nous pouvons observer la partie centrale du champignon, appelée carpophore. Sans cette boule, aucune possibilité de reproduction pour le géastre. C’est en effet dans cet organe que se trouve la partie productrice contenant les spores : la gléba. Lorsque le champignon subit une pression (piétinements de mammifères, branche qui tombe etc.) les spores sont éjectées du carpophore par un orifice placé au sommet : l’ostiole. Ils contribueront à la formation de nouveaux géastres.

Il existe plusieurs espèces de géastres, pas toujours facile à distinguer : Géastre sessile, Géastre vulgaire, Géastre à 3 couches etc. Certaines peuvent être observées dans des vieilles forêts de conifères, d’autres apprécieront des terrains siliceux et sablonneux.

Texte : Eugénie Liberelle / Illustration : Cécile Carbonnier