La petite fleur du Centaure
Sur les pelouses ensoleillées des pannes dunaires, aux abords des chemins sablonneux du Parc, fleurissent depuis quelques semaines de jolies étoiles roses à 5 branches : il s’agit de la Petite-centaurée (Centaurium), plante appartenant à la famille des Gentianacées. Les corolles s’épanouissent en ombelle, au bout d’une tige carrée d’une trentaine de centimètres garnie de quelques feuilles ovales opposées ; si on la regarde de plus près, on remarque les étamines jaunes qui s’enroulent en spirale au cœur de la fleur au parfum discret.
Ce genre regroupe trois espèces au sein de la Réserve naturelle : la Petite-centaurée commune (Centaurium erythraea), sa cousine délicate (Centaurium pulchellum) et enfin la Petite-centaurée du littoral (Centaurium littorale). Cette dernière, endémique nord-atlantique, est exceptionnelle et légalement protégée ; très rare et menacée, elle présente donc une valeur patrimoniale élevée et constitue un excellent indicateur écologique de la dynamique de certaines dunes.
Mais au fait, d’où lui vient son petit nom ? Le terme Centaurée, tout comme son surnom d’herbe à Chiron, renvoie à un épisode mythologique relaté par Pline : Héraclès, héros vénéré des Grecs – mais fort maladroit à ses heures perdues – blessa par mégarde son copain Chiron le Centaure. Afin de soigner son genou, l’être mi-homme mi-cheval se prépara un onguent à base de fleurs de… Centaurées ! Malheureusement, la pommade ne put le guérir, car la flèche qui l’avait atteint était empoisonnée par le sang de l’Hydre de Lerne. La douleur était telle que Chiron supplia les dieux de lui ôter son immortalité…
Triste histoire… qui nous rappelle cependant que les plantes sont souvent utilisées en pharmacologie. Les Gaulois se servaient ainsi de la Petite-centaurée comme antidote aux morsures de serpents et aux maladies fébriles, d’où son appellation d’herbe à fièvre. Quant aux Romains, ils la surnommaient l’herbe de la bile de terre, en raison de son goût amer, qui stimulerait les sécrétions du foie : si elle n’est pas apte à soigner le poison de l’Hydre de Lerne, elle serait néanmoins un excellent purgatif, en témoignent différentes traces de son usage médicinal à travers les âges.
La haute estime dont jouit la Petite-centaurée se retrouve dans un autre de ses sobriquets : l’herbe aux mille florins. L’étymologie est ici originale. En fait, la langue populaire transforma le terme centaurium en centum aurei, c’est-à-dire “cent pièces d’or”. Et la petite fleur rose était tellement appréciée que l’on multiplia par 10 sa valeur. Elle vaut bien cette surenchère !
Enfin, on l’appelle aussi Érythrée – comme le pays – terme vernaculaire signifiant “la rouge”, en raison de la couleur de ses fruits, des petites capsules rougeâtres.
Parce que les botanistes semblent parfois vouloir nous perdre un peu, une dernière précision : le genre Centaurium est à distinguer du genre Centaurea, qui regroupe différentes plantes de la famille des Astéracées, dont le fameux Bleuet des champs, symbole de la mémoire et de la solidarité envers les anciens combattants, les victimes de guerre, les veuves et les orphelins. Mais ça, c’est une autre histoire…
Texte : Cécile Carbonnier
Illustrations : Romane Sauleau, Cécile Carbonnier