La Tipule qui veut se faire aussi menaçante que la Guêpe
Sur l’écorce d’un vieux peuplier du Parc, un bel insecte attire notre regard. Mesurant une trentaine de millimètres, son corps noir est rayé de bandes jaunes complètes. Ses longues ailes ont des nervures bien marquées, avec une tache claire diffuse s’étendant jusqu’au ptérostigma*. Il semble se dorer au soleil, gaillardement posé sur ses pattes rousses, l’abdomen relevé en posture de “scorpion”. La bête impressionne, et brave serait l’aventurier qui oserait y approcher son museau pour mieux l’admirer !
Pourtant, une caractéristique retient notre attention : il ne possède qu’une seule paire d’ailes… Un détail qui fait mouche : notre inconnu menaçant appartient en réalité à l’ordre des Diptères. Autrement dit, c’est une tipule ! Appelez-la cousin ou faucheux, peu importe, ce qui est sûr, c’est que la bestiole est totalement inoffensive, bien qu’elle fût déguisée en guêpe. Et contrairement aux moustiques, le sang ne l’intéresse pas : jamais il ne lui viendrait à l’idée de vous piquer !
Soulagés par cette découverte rassurante, nous nous approchons de l’usurpateur, qui est alors assez vite démasqué : il s’agit de Ctenophora flaveolata – le Cténophore jaunâtre. On connaît peu de choses sur ce roi du déguisement, puisque ses observations demeurent bien rares. Dans la région, on rencontre les imagos (les adultes) surtout au printemps, en avril-mai. Les larves se développent quant à elles dans le bois pourri.
Résumons la fable qui se joue là : la tipule, douce et innocente – le mime – adopte l’apparence physique d’une guêpe au dard venimeux – le modèle – pour échapper à un prédateur éventuel ayant appris à se méfier des piqûres d’hyménoptères – le dupé. Cette stratégie adaptative d’imitation s’appelle mimétisme batésien, du nom de l’entomologiste britannique H.W. Bates, qui fut le premier à émettre cette théorie au XIXème siècle. Elle implique une coévolution complexe mettant en jeu nos trois personnages, et qui n’a pas fini de fasciner les spectateurs que nous sommes !
Dernière remarque : cette tipule porte le même nom scientifique que les cténaires, des organismes océaniques transparents, planctoniques et pélagiques, qui ressemblent à des méduses. Mais quel rapport entre notre insecte et ces bêtes marines à l’aspect gélatineux ? Leurs cils ! En effet, ktenos signifie “peigne”, et phorein “porter”. Chez la tipule, ils sont facilement repérables sur ses antennes, tandis que chez les cténaires, ils sont alignés en 8 rangées vibratiles qui servent à la locomotion. Mais ça, c’est une autre histoire…
* Ptérostigma = Partie épaissie et colorée du bord antérieur des ailes de certains insectes ; un critère souvent déterminant pour les identifier !
Texte et illustrations : Cécile Carbonnier