Le doux soleil qui a illuminé ce week-end pascal a permis la “résurrection” de nombreux insectes, parmi lesquels une demoiselle charmante mais très discrète : la Brunette hivernale (Sympecma fusca), aussi appelée Leste brun. Cette petite libellule (34-39 mm) passe facilement inaperçue ! En effet, son aspect plutôt terne la rend très mimétique de son environnement. Toutefois, elle possède parfois de magnifiques yeux bleus, qui ne laissent pas insensibles ses observateurs chanceux. Son abdomen couleur paille est ponctué de marques sombres caractéristiques en forme de torpilles. Au repos, elle maintient ses ailes fermées, bien serrées le long du corps. On constate alors que les ptérostigmas antérieurs et postérieurs – ces taches sombres et épaisses situées sur le bord des ailes, non loin de leur extrémité – ne se chevauchent pas.

Dès avril, les couples de Lestes bruns se forment : on aperçoit alors des tandems survoler la surface des eaux stagnantes à faible courant. La femelle, maintenue fermement à l’arrière de la tête par les cerques du mâle quelque peu “jaloux”, dépose généralement ses œufs dans les zones d’accumulation de débris végétaux flottants. Mais comment se fait-il que cette libellule soit déjà en train de pondre, alors que ses cousines achèvent tout juste leur métamorphose et sont seulement en train d’émerger des mares où elles ont grandi ? Tout simplement parce que la Brunette hivernale est la seule odonate européenne à hiberner à l’état imaginal (c’est-à-dire adulte), bien à l’abri dans les roselières ou les joncs ! Une exception qui fait d’elle la libellule la plus précoce de notre printemps. 

Texte et illustrations : Cécile Carbonnier

Pour terminer avec les chenilles écharpes – et il commence à faire froid, elles deviennent rares ! – voilà vraiment celle que vous devez porter lors de la prochaine Coupe du Monde ou, carrément, au carnaval de Venise : la Patte étendue ou Pudibonde (Calliteara pudibunda). 

Elle a un superbe corps verdâtre, tout comme la tête, orné de dessins noirs. Le tout est surmonté sur les quatre premiers segments de brosses jaunâtres du plus bel effet. Le huitième segment est pourvu d’un petit “pinceau” de soies rouges. Nul doute qu’elle aurait été invitée dans les soirées excentriques organisées par Sarah Bernhardt, dans son ancien fort situé à la pointe des Poulains à Belle-Ile-en-mer, entre panthère et crocodile ! Mais attention, elle est plutôt urticante ; toutefois la grande dame avait, paraît-il, plutôt un fort caractère… Rassurez-vous, pour les adeptes du sobre vestimentaire, il existe des formes brunes ou grises beaucoup plus discrètes. La nature pense à tous les goûts !

La Pudibonde est commune sur le Parc et se nourrit de feuilles de nombreuses espèces d’arbres et d’arbustes. La chenille se nymphose en automne et le papillon nocturne, gris clair avec des bandes sombres aux ailes, émerge de fin avril à juin. La chenille est d’ailleurs, elle aussi, plutôt active de nuit – on la comprend vu son look !

Mais pourquoi le nom vernaculaire de Pudibonde ou Patte étendue ? Quand on la dérange, avant de se mettre en boule, elle fait le gros dos, rentrant sa tête comme si elle boudait, déployant ses soies ; le papillon adulte, quant à lui, a tendance à étendre ses pattes velues au repos pour passer encore plus inaperçu sur une branche claire.

Texte et illustrations : Philippe Carruette

 

Après avoir découvert la chenille de la Noctuelle de la Patience, voilà une autre espèce digne des écharpes les plus chic, à porter au stade pour le match France/Belgique : la chenille de l’Étoilée (Orgya antiqua), que l’on nomme aussi Bombyx antique, est en effet très “punky”. Ce qui surprend d’abord ce sont ses quatre touffes de poils jaunes en brosse sur chacun des quatre premiers segments abdominaux. Puis le prothorax a de longs pinceaux noirs tournés vers l’avant, comme des cornes. Et pour rester dans le même “design”, à l’arrière on retrouve un autre pinceau. Le corps est gris foncé avec des taches rougeâtres entourées d’un cercle jaune. 

Peu exigeante, cette chenille se nourrit de toutes sortes de feuilles d’arbres et d’arbustes et on peut même la trouver sur les aiguilles de pins. Une seule génération a lieu, avec une éventuelle deuxième génération en octobre, comme en témoigne cet individu.

Le papillon nocturne, qui ne se nourrit pas, est pour le mâle assez facile à reconnaître et à observer : il a des ailes brun jaunâtre avec deux taches blanches bien visibles vers le bas. La femelle, à l’abdomen très développé, a des ailes atrophiées et se déplace peu, restant près de son cocon. Pas facile, quand on ne bouge quasiment pas, de trouver le prince charmant en été ! Elle émet alors en abondance des phéromones vite détectées par les mâles bien volants, qui les captent grâce leurs grandes antennes pectinées. C’est sûrement aussi pour cette raison que les mâles volent aussi de jour, optimisant ainsi les rencontres !

Juste un conseil pour les supporteurs, cette belle écharpe étoilée est à porter vraiment moins de 90 minutes, les poils blancs sont plutôt irritants !

Texte : Philippe Carruette / Illustrations : Philippe Carruette, Soizic Maillet

Vous n’avez rien à vous mettre pour le prochain carnaval de Rio, ou pour le dernier Derby du Nord ? Pas de soucis, la nature a tout prévu ! La chenille de la Noctuelle de la Patience (Acronicta rumicis) est “l’écharpe” idéale, bio et bien locale ! Noirâtre, elle a des touffes de soies rousses d’où ressortent des taches blanches sur le dos. Les flancs ont aussi une bande blanche entrecoupée régulièrement de taches rouge orangé du plus bel effet. Sa tête est sombre, souvent rentrée dans le thorax, lui donnant alors cet aspect bossu.

Elle est commune dans notre région mais considérée comme assez rare dans le Nord-Pas-de-Calais. Elle est peu exigeante écologiquement, tant qu’elle peut manger des feuilles. Il faut dire que ses plantes hôtes sont plutôt abondantes comme les plantains et patiences, ronces, chardons ou saules, en passant par les pommiers ou les érables. 

Une femelle peut pondre 500 œufs qui éclosent en une semaine. Les chenilles apparaissent en août-septembre. Celles que l’on voit en avril-mai sont issues de l’hivernage des chrysalides formées à l’automne. En matière de patience, outre la plante, la chenille la cultive aussi dans son comportement. Elle a en effet une forte faculté à attendre, quand elle se tient enroulée pour se défendre ; elle met vraiment du temps pour se dérouler et reprendre son activité !

Le papillon nocturne, une noctuelle, n’est lui guère “festif” dans ses couleurs, tout dans la discrétion dans ses teintes gris cendré – d’où son nom aussi de Cendrée noirâtre.

Texte : Philippe Carruette / Illustrations : Philippe Carruette, Quentin Trevel

C’est la période idéale pour croiser sur les chemins du Parc le Carabe chagriné (Carabus coriaceus), coléoptère de près de 40 mm de long. Il se caractérise par son aspect très sombre, de grands yeux noirs, deux longues antennes et des élytres à l’aspect rugueux. Il se déplace extrêmement rapidement grâce à ses trois longues paires de pattes qui sont griffues, lui permettant même de grimper. Les ailes sous les élytres sont très réduites et le rendent inapte au vol ! 

Surtout nocturne, c’est un redoutable prédateur dès son stade larvaire ; il est muni d’une spectaculaire paire de mandibules. Il capture escargots, insectes et même les plus grosses loches orangées. Il serait capable d’ingérer trois fois son poids par jour ! Mais au fait, pourquoi “chagriné” ? Eh bien pourquoi pas, il y a bien une libellule déprimée ! En tout cas si vous avez un jardin, vos salades et radis ne seront pas “chagrinés” qu’il soit dans les parages !

Texte : Philippe Carruette / Illustrations : Cécile Carbonnier

Une guêpe, c’est bien entendu jaune et noir… et ça pique ! Eh bien pas toujours ! Ainsi la Guêpe coucou ou Chrysis flamboyante (Chrysis ignita) est vraiment… flamboyante ! C’est une véritable petite splendeur de 3 à 10 mm de longueur. Le corps à de beaux reflets métalliques et cuivrés, bleus, violets ou verts sur le thorax, selon la lumière ; l’abdomen est rouge à rose rubis, ou encore orangé, toujours selon la luminosité. Une véritable œuvre d’orfèvre du vivant ! La surface inférieure est concave, rien à voir avec un “mini sympathique embonpoint” ; cela permet à l’hyménoptère de se rouler en boule – comme un cloporte – pour se préserver des prédateurs. Le thorax est protégé par une épaisse cuticule granuleuse, afin d’échapper au dard des autres guêpes que l’insecte peut parasiter.

En effet, comme la plupart des membres de la famille des Chrysididae, c’est une espèce parasite. Si l’adulte se nourrit du nectar des fleurs, la larve est bel et bien carnivore. La femelle recherche les nids de certaines guêpes maçonnes ou fouisseuses pour y pondre. Dès leur naissance, ces hyménoptères dévorent les œufs, les larves et les réserves nourricières de leurs malheureuses hôtes. Elles peuvent même opérer leurs crimes dans votre hôtel à insectes ! D’où le nom générique de “guêpe coucou”, finalement un bijou bien dangereux à fréquenter ! Les Anglais la nomment “ruby tailed wasp”, la guêpe à queue rubis. Rassasiée, la larve de notre parasite émergera au printemps prochain comme un bijou de guêpe toujours bien innocent et rutilant !

Sa présence semble régulière sur le Parc, où elle se chauffe souvent au soleil sur les rambardes et postes d’observation en bois. Il existe de nombreuses espèces de Chrysididae en France et en Europe, pas toujours faciles à distinguer entre elles.

Texte : Philippe Carruette / Illustration : Soizic Maillet

En cheminant le long des prairies humides du Parc, notre regard s’arrête sur une fleur d’Eupatoire chanvrine enveloppée dans un dôme de soie. Serait-ce là le piège mortel patiemment tissé par une araignée gourmande ? Au contraire ! Il s’agit d’un écrin protecteur, promesse de vie : à l’intérieur, des dizaines de petites Pisaures admirables (Pisaura mirabilis) grandissent bien à l’abri, sous la vigilance de leur mère. C’est d’ailleurs ce comportement maternel exemplaire qui a inspiré ce nom…

Mais déroulons le fil de l’histoire. Tout commence par un cadeau : celui qu’offre le mâle Pisaure à sa “douce”. Afin de se faire accepter par l’élue de son cœur, celui-ci lui présente une proie qu’il a préalablement capturée. Stratégie plutôt maligne, puisqu’elle lui évite d’être dévoré par sa belle affamée ! Car chez la plupart des araignées, on ne se refuse jamais un petit plaisir cannibale… 

Tandis qu’elle est occupée à consommer cette offrande nuptiale, l’accouplement peut avoir lieu. Il dure environ une heure. C’est alors que le qualificatif de la Pisaure prend tout son sens : au lieu de déposer ses œufs dans un coin et de les abandonner aux aléas de la vie – non sans leur souhaiter bon courage… -, la brave mère prend le soin d’envelopper sa ponte dans un cocon parfaitement sphérique, sur lequel elle veillera assidûment jusqu’à l’éclosion. Elle le transporte à l’aide de ses chélicères, petites pinces situées à proximité de sa bouche.

Quand la naissance approche, Maman Pisaure ne chôme pas : elle confectionne une cloche de soie dans la végétation, au sein de laquelle elle fixe délicatement le cocon. Elle demeurera auprès de cette pouponnière durant les premières phases de développement de ses rejetons, jusqu’à ce qu’ils soient capables de se débrouiller seuls. Admirable, n’est-ce pas ? 

Dans quelque temps, les petits deviendront de belles araignées grises ou brunes, mesurant de 10 à 16 millimètres. Vous les reconnaîtrez à la ligne claire qui traverse la large bande sombre de leur céphalothorax. Leur abdomen, plus mince à l’arrière, leur confère une silhouette générale svelte et élancée. 

Notons que si cette araignée, très commune, est une fileuse prodigieuse quand il s’agit de bâtir des nurseries, en revanche, elle ne tisse pas de toile pour capturer ses proies. En effet, elle préfère chasser au sol, poursuivant en courant insectes en tous genres… ou mâles négligents qui auraient oublié leur offrande !

Texte : Cécile Carbonnier / Illustrations : Cécile Carbonnier, Marion Mao

Dans les zones fraîches et humides du Parc se dressent de grandes plantes herbacées à la silhouette gracile, émaillées de charmantes fleurs d’un rose intense : ce sont les Épilobes à grandes fleurs (Epilobium hirsutum), également appelées Épilobes hirsutes en raison des petits poils hérissés qui parsèment leur tige souple et robuste. Pouvant atteindre 1,80 mètre de hauteur, elles apportent une note de couleur joyeuse à la mégaphorbiaie, cette formation végétale hétérogène et dense constituée de hautes plantes vivaces, caractéristique des sols riches et humides, qui ourle nos marais. 

La corolle de la fleur est composée de quatre pétales très échancrés, en forme de cœur. Au centre de cet écrin rose, on distingue une petite croix blanche : il s’agit du stigmate – l’extrémité du pistil, l’organe reproducteur femelle de la fleur – prêt à accueillir les grains de pollen que déposeront syrphes et bourdons en butinant. Huit étamines – les organes mâles – forment une ronde autour de lui. 

Les Épilobes accueillent nombre de résidents en tous genres, parmi lesquels la chenille du Grand Sphinx de la Vigne (Deilephila elpenor), qui s’en délecte. On la reconnaît à ses ocelles blancs et noirs, qui rappellent le signe du Yin et du Yang. Lorsqu’elle est stressée, elle rentre la tête dans son thorax, se redresse, et gonfle l’avant de son abdomen ; puis elle entame une drôle de danse, se balançant de droite à gauche telle un serpent. Les “yeux” sont ainsi mis en évidence, et peuvent déconcerter le prédateur le plus téméraire !

Dans quelques jours, la chenille quittera sa plante nourricière pour errer un temps, avant de s’enterrer dans une loge rudimentaire, où elle se nymphosera. Les fleurs des Épilobes, quant à elles, auront fané. Ne resteront que les fruits, fines capsules sèches renfermant les précieuses graines. Munies de longues aigrettes de soie – que l’on utilisait jadis pour la confection de mèches à lampes – elles s’envoleront à la moindre brise. Anémochorie, ou quand le vent disperse la vie… 

Texte : Cécile Carbonnier / Illustrations : Alexander Hiley, Cécile Carbonnier, Marion Mao