Ce n’est pas une nouvelle fable inédite de Jean de la Fontaine – Picard et fin observateur de la nature au demeurant – qui vient d’être découverte sur le Marquenterre, mais la rencontre avec la Petite biche (Dorcus parallelipipedus). Cet insecte coléoptère appartient à la famille des Lucanidae, comme le Lucane cerf-volant, qui est bien moins commun. Dorcus en latin signifie « chevreuil, gazelle » du fait des mandibules rappelant un bois de chevreuil, et l’épithète parallelipipedus est dû à la forme de l’insecte, un rectangle noir allongé.

La Petite biche n’est guère difficile à observer de mai à septembre, vue son extrême lenteur, qui confine à l’immobilisme… bien qu’elle soit capable de voler. L’organisation d’une course avec une tortue ou un escargot ne la rendrait certainement pas victorieuse ! 

Elle se nourrit plutôt de sève s’écoulant des arbres, mais n’a pas dédaigné cette fois-ci une part de melon abandonnée. Comme pour tous ces collègues lucanes caparaçonnés, les larves de type gros vers blancs arqués sont saproxylophages, digérant le bois mort sur pied ou au sol grâce à une étonnante flore intestinale composée de bactéries cellulosiques. Cet aliment, guère énergétique, fait que larve dodue se développe sur un cycle de 2 à 3 ans avant de devenir adulte volant. Chez nous, elle apprécie les vieilles saulaies. Elle est un élément essentiel à la dégradation du bois mort, tout en étant elle-même une source de nourriture importante pour nombre de prédateurs, comme les pics.

Comme disait Louis de Funès : “Ma Biche” a encore bien des choses à nous apprendre…

Texte et illustration : Philippe Carruette

Le sentier menant au poste 1 nous fait passer sur un petit ponton en bois, sous lequel s’écoule très doucement un cours d’eau à l’aspect calme et tranquille. Mais aux yeux d’un visiteur attentif et curieux, c’est tout un écosystème aquatique qui se dévoile. Et de temps en temps, lorsque le soleil est présent, une importante masse orange ou verte évolue dans l’eau tel un nuage.

Ce « nuage » flottant est composé de centaines de petits crustacés, de 1 à 4 millimètres pour chaque individu. Ces crustacés font partie du zooplancton : on les appelle les daphnies. En zoomant sur un individu, nous apercevrions ses pattes ; inutiles pour le déplacement, elles sont utilisées pour diriger la nourriture de la daphnie vers sa bouche. Également visible, son tube digestif, ses œufs et même son cœur ainsi que ses 2 paires d’antennes, lui permettant de se mouvoir.  Ce cyclope des eaux douces et stagnantes, parfois saumâtres, pourvu d’un œil unique est protégé par une carapace translucide. À l’extrémité de l’abdomen se trouve une épine (éperon caudal) ; plus il y a de prédateurs dans le milieu, plus cette épine sera longue.

Tels les fanons d’une baleine, la daphnie filtre l’eau, emprisonnant de minuscules organismes planctoniques (phytoplancton et zooplancton).

Oh la belle rouge ! Et la belle verte ! Selon son milieu de vie et la chimie de l’eau, une même espèce peut être rougeâtre ou verte. Attirées par la lumière, on peut les observer à la surface de l’eau le jour pour les voir redescendre ensuite lorsque la nuit arrive. Cependant, une pleine lune sans nuage peut faire remonter les daphnies en surface.

Ces micro-crustacés sont très importants dans le milieu ; ils sont une grande source de nourriture pour beaucoup d’être vivants sur le Parc : limicoles (l’Avocette élégante par exemple), canards, et poissons s’en délectent. Ces derniers seront eux-mêmes mangés par des Spatules blanches, des Hérons cendrés, et autres Aigrettes. On dit également des daphnies qu’elles sont “brasseuses d’eau”, mélangeant les couches plus ou moins oxygénées, mais aussi les couches de salinités ou de densité différentes. Ce sont enfin des espèces bio-indicatrices.

Le plancton est la base de la chaîne alimentaire ! De taille insignifiante, ce zooplancton a pourtant un rôle majeur et mérite bien que nous nous arrêtions quelques minutes afin de mieux l’observer et le comprendre. 

Texte et illustrations : Eugénie Liberelle, Cécile Carbonnier

 

 

En ce début du mois d’août, de nombreux papillons Vulcains (Vanessa atalanta) se délectent du nectar des Eupatoires en fleurs. Ces grands papillons sont faciles à reconnaître avec leurs deux couleurs rouge et noire très tranchées.

Leurs longues ailes trahissent un comportement migrateur. En fin d’été, en effet, les deuxième ou troisième générations nées en Angleterre filent plein Sud, traversant la Manche pour aller hiverner le long de la côte atlantique et probablement jusqu’en Espagne. Par vent porteur, le Vulcain peut atteindre 40 km par heure, pas mal pour un “simple” papillon ! Ces migrations n’ont lieu que lorsque les températures excèdent au moins 11 degrés.

Conséquence de la douceur hivernale, le Vulcain hiverne désormais sur notre littoral à l’état adulte – généralement dans un bâtiment, un garage ou un gros tas de bois – ce qui n’était a priori pas le cas il y a encore une vingtaine d’années, où on le trouvait plus au Sud. Ces individus, plus foncés que ceux qui hivernent à l’état de chrysalide, ressortiront en mars.

Tous pondront au printemps sur des plantes encore communes comme les orties, la pariétaire officinale ou le houblon sauvage, ce qui fait que cette espèce est encore relativement abondante dans notre région.

Texte et illustrations : Philippe Carruette

L’Amaryllis (Pyronia tithonus) est un petit papillon diurne aux ailes orange et marron. Les mâles, de plus petite taille, se reconnaissent facilement à la bande transversale sombre sur la partie orangée de l’aile. Il est régulièrement observé sur le Parc, mais plutôt tardivement, à partir de juin jusqu’en septembre. 

Posé, il garde toujours les ailes bien ouvertes, mettant en évidence les deux ocelles noirs dans lesquels on distingue deux points blancs. Leur aspect d’yeux peut ainsi décontenancer un prédateur l’espace d’un instant : ce bref moment est suffisant pour que le papillon prenne rapidement son envol. 

L’Amaryllis est peu exigeant et pond sur les graminées des prairies (fétuque, pâturin, dactyle…). L’adulte cherche sa nourriture sur la plupart des plantes à fleurs. Ce papillon hiverne à l’état de chenille.

Texte : Philippe Carruette / Illustration : Alexander Hiley

Par ces temps légèrement humides, on peut observer de toutes petites bêtes, vraiment toutes petites : ce sont les collemboles. Mais qui sont-ils ?

Ne dépassant pas le centimètre, les collemboles sont des petits arthropodes sauteurs. Il en existe 4 grands ordres : les Symphypléones, tous ronds, les Poduromorphes, semblables à des petits boudins, les Entomobryomorphes, qui sont longs, et les Neelipléones, qui ne mesurent que quelques millimètres. 

Ils peuvent être bleus, roses, violets, verts… de vrais arcs-en-ciel ! Totalement inoffensifs, ils se nourrissent de feuilles, de bois mort et de microchampignons.

Les collemboles sont présents presque partout, du grand Nord aux limites du Pôle Sud, et même au sommet des montagnes. Ils sont assez peu étudiés, une centaine de scientifiques dans le monde et une poignée d’amateurs s’y intéressent. 

Pourtant ce petit arthropode est important pour la vie du sol, et en plus il est très sympathique à regarder. C’est tout un petit monde fascinant, rempli de couleurs et de choses surprenantes, comme les parades nuptiales. Eh oui, même les plus petites bêtes doivent danser pour séduire !

D’ailleurs, comment les observer ? Il vous suffit de trouver un petit bout de bois mort, ou de bien regarder sur les postes d’observations après les jours de pluie, et vous en verrez. Pour apprécier les détails, munissez-vous d’une loupe ou de jumelles que vous mettrez à l’envers pour les utiliser comme loupe.

Alors ouvrez l’œil, vous en croiserez peut-être ! 

Texte et illustrations : Soizic Maillet

Avertissement : certaines scènes décrites dans cet article sont susceptibles de heurter la sensibilité des lecteurs (surtout ceux passionnés de libellules) !

Le Parc du Marquenterre a été le théâtre d’une effroyable scène de crime. Mercredi dernier, alors que le soleil dardait ses rayons sur les plans d’eau douce où batifolaient libellules et demoiselles, contentes de profiter enfin d’une fenêtre de beau temps pour s’accoupler joyeusement, une grosse mouche grilla la priorité aux odonates dans un vrombissement détonant. D’abord offusqués par ce comportement d’une rare incivilité, nous fûmes ensuite tétanisés par l’effroi : le chauffard tenait prisonnier entre ses pattes un pauvre Leste vert (Chalcolestes viridis). Nous le suivîmes jusqu’à ce qu’il se gare sur une tige de bouleau, afin de l’intercepter. Amer constat : la victime était déjà décédée…

Le coupable, dont nous tairons le nom afin de préserver la tranquillité de ses proches*, était lourdement armé : son appareil buccal robuste, enfoncé dans sa face poilue, était muni d’un rostre puissant capable de perforer la chitine la plus dure. Nous tenions l’arme du crime. 

Asilidé attendant sa proie...

L’assassin avoua rapidement appartenir au « Gang des Mouches à toison » – ou Asilidae dans le jargon de la scientifique -, ces diptères prédateurs bien connus des autres insectes volants, qu’ils persécutent sans relâche. Lorsqu’ils décident de passer à l’action, leur mode opératoire est toujours le même : ils se postent, l’air de rien, sur une roche ou une branche dégagée, faisant mine de prendre un bain de soleil… Mais ne soyez pas dupes ! En réalité, ils surveillent de leurs gros yeux à facettes le trafic alentour. Dès qu’ils repèrent une proie appétissante, ils décollent sur-le-champ et s’élancent à sa poursuite ! La traque ne dure jamais bien longtemps. Grâce à leurs trois paires de pattes longues et épineuses, solidement attachées à leur corps massif, ils capturent la malheureuse victime en vol, et peuvent ainsi la maintenir contre leur abdomen trapu sans difficulté. Leur moustache épaisse – un autre trait de caractère du clan, qu’ils arborent fièrement – les protège des mouvements défensifs de leur futur repas. Impossible alors d’échapper à cette horrifique cage de griffes. Lorsqu’ils portent le coup fatal, ces voyous injectent dans le corps de la proie leur salive chargée d’enzymes neurotoxiques et protéolytiques. De retour sur leur poste de guet, ils n’ont plus qu’à siroter peinardement le cadavre prédigéré…

Prends garde demoiselle !

Une bonne nouvelle toutefois, parce que la Nature en offre toujours : ces fous furieux ne piquent pas l’Homme ! Au contraire, ils s’avèrent être de vaillants alliés du genre humain, puisqu’il leur arrive parfois de s’attaquer aux taons quelque peu embêtants.

Mais déjà le cycle de la vie reprend au Parc du Marquenterre. On nous apprend à l’instant qu’un Leste vert aurait été l’auteur, à son tour, d’un crime odieux sur un moucheron innocent…

* En réalité, son identification n’est pas évidente sans une analyse détaillée de sa pilosité… Un portrait-robot est en cours d’élaboration par nos services.  

Texte et illustrations : Cécile Carbonnier

En compagnie de l’école d’Hesdin, quelle ne fut pas notre surprise de découvrir dans un fossé d’eau douce claire une superbe Sangsue médicinale (Hirudo medicinalis) ! Cet invertébré du groupe des annélides – vers segmentés – peut mesurer jusqu’à 15 centimètres. Elle se reconnaît à son dos sombre avec des lignes orangées pigmentées de noire. En la retournant, nous constatons que le ventre est clair avec des taches sombres. Cet individu est particulièrement grand (12,5 centimètres) mais rétracté il perd toute sa longueur et prend la forme d’une limace “contrariée”, voire d’une grosse olive… ! Elle est amphibie et nage parfaitement bien par ondulation, mais peut aussi se déplacer sur le sol par reptation à la manière des chenilles arpenteuses, s’aidant de ses ventouses. La respiration se fait à travers la peau.

La sangsue possède deux ventouses : une buccale, qui constitue l’organe de succion, et une à l’arrière, plus importante, qui sert de fixation. L’espèce adulte est en effet hématophage. Elle possède de remarquables récepteurs sensoriels pour repérer ses proies. Elle parasite en milieu aquatique batraciens, tritons, poissons mais aussi mammifères sauvages ou domestiques. La ventouse antérieure a en son centre trois mâchoires chitineuses de 100 à 150 dents permettant de faire une petite incision indolore en Y sur la peau. Elle aspire durant quelques dizaines de minutes entre 10 à 15 centimètre cubes de sang, avant de se décrocher. Cela va lui faire un repas à digérer pendant plusieurs mois ! Les glandes salivaires émettent une molécule, l’hirudine, anticoagulante et anti-inflammatoire, permettant de siroter le précieux liquide en toute tranquillité. 

 

Comme pour les escargots, toutes les sangsues sont hermaphrodites avec une fécondation interne entre individus, mais un seul des partenaires est inséminé. Elle pond une sorte de poche spongieuse contenant 6 à 18 œufs, dans laquelle se développent les embryons. Les jeunes sangsues, au départ carnivores, ne seront adultes qu’à partir de 5 ans. On parle pour cette espèce de longévité étonnante, pour un invertébré, de 15 à 40 ans ! C’est a priori la première observation de cette espèce sur le Parc. Seule la Sangsue de cheval (Haemopis sanguisuga), qui ne se nourrit pas de sang, avait été notée de manière régulière sur le site.

De par son habitat en eau claire et de bonne qualité, la Sangsue médicinale est relativement peu abondante et est considérée comme quasi menacée sur la liste rouge de l’Union Internationale pour la Conservation de la Nature.

Texte : Philippe Carruette / Vidéo : Léa Coftier

À la croisée des chemins, nous sommes obligés de laisser la priorité à un longicorne bien lourdaud : le Lamie tisserand (Lamia textor). On ne peut pas dire qu’il soit stressé, se déplaçant lentement à un “train de sénateur”. Même s’il a des ailes sous sa solide carapace granuleuse, il ne semble guère les utiliser et je crois ne l’avoir jamais vu voler ! Finalement, il est du genre tranquille le matin, et pas du tout pressé le soir, ou au crépuscule. S’il peut être observé dès mars avril, au Parc nous le croisons surtout en juin ou juillet, notamment lors des sorties nature estivales en soirée, au grand plaisir des enfants !

Les adultes, grâce à leurs fortes mandibules – mais ils ne mordent pas ! – se nourrissent de l’écorce des jeunes rameaux de saules ou de peupliers. Les larves se développent durant 3 à 4 ans dans le bois mort de ces mêmes arbres des marais. Ce capricorne reste peu commun en Picardie ; comme tous les membres des Cérambycidés (230 espèces en France) il est particulièrement menacé par le manque de vieux bois dans des forêts surexploitées ou gérées à rotation courte. Il est même classé comme espèce protégée en Wallonie belge.

Texte : Philippe Carruette / Illustration : Cécile Carbonnier