Voguant de pâquerette en pissenlit, un drôle de petit insecte vert métallique, aux cuisses renflées comme celles d’un sprinteur du Tour de France, se délecte de pollen. Notre “cycliste” bodybuildé n’est autre que l’Œdémère noble (Oedemera nobilis), un coléoptère mesurant de 8 à 12 millimètres, aux antennes filiformes ; on le reconnaît à ses élytres mous se rétrécissant vers l’arrière et ne recouvrant pas la totalité de l’abdomen… un peu comme s’il avait enfilé un maillot trop court ! Les mâles ont les fémurs des pattes postérieures particulièrement développés, ce qui leur donne cette allure de Popeye caractéristique. 

Dans la région, on peut aisément observer les adultes de fin avril à début août sur les fleurs où ils se ravitaillent, en lisière de bois ou dans les prairies. Ils jouent donc un rôle important dans la pollinisation. Les larves, quant à elles, sont xylophages, et vivent au sol, dans les branches, les tiges ou les racines en décomposition. En tant qu’organismes saproxyliques – c’est-à-dire dépendant du bois mort – elles participent ainsi, en coéquipières dévouées du vivant, au recyclage de la matière organique !

Texte et illustration : Cécile Carbonnier

C’est fin avril début mai que l’on a la chance de voir réapparaître ces superbes coléoptères que sont les Hannetons communs (Melolontha melolontha). Mais cette année, avec le froid de mai, ils semblent avoir retardé leur sortie. 

Le Hanneton commun fait partie de la famille des Scarabées (240 espèces en France) caractérisés par leurs antennes terminées en massues lamellées, plus longues chez les mâles. Il est surtout actif au crépuscule, même si on peut le voir en plein jour dégustant les feuilles des arbres. Les adultes volants (bien lourdement !) vont vite pondre 20 à 30 œufs dans les sols meubles, à 10 centimètres de profondeur. Les larves naîtront fin juin : ce sont les fameux vers blancs peu appréciés des jardiniers ! Elles vivront quatre ans de croissance souterraine, hibernant à la saison froide, et consommant aux beaux jours des racines. 

Mais on est loin aujourd’hui des pullulations et des densités d’antan où, quand j’étais enfant, on accrochait délicatement un fin fil à une de leurs pattes pour en faire… des cerfs-volants naturels, que l’on prenait bien soin de relâcher librement ensuite !

L’animal à tous les stades est pourtant une ressource alimentaire pour nombre de prédateurs comme les taupes, hérissons, musaraignes, blaireaux ou cigognes. Le Faucon hobereau qui revient tout juste de migration, faute encore d’abondance de libellules, le déguste en vol, en se débarrassant des élytres qui virevoltent dans une ultime pirouette.

Texte : Philippe Carruette / Illustrations : Alexander Hiley, Philippe Carruette

 

La Pudibonde ou Patte étendue (Calliteara pudibunda) est un gros papillon nocturne beige, plutôt velu, volant entre avril et juin, bien présent dans les boisements de feuillus du Parc. La femelle est plus grosse que le mâle (55 à 60 mm d’envergure), plus claire avec un volumineux abdomen au printemps pour la ponte de plusieurs centaines d’œufs. Comme tous les papillons de la sous-famille des Lymantriinae – une quinzaine d’espèces en France – l’adulte ne se nourrit pas faute de trompe.

Mais c’est sa chenille qui est la plus connue. Elle ne passe pas inaperçue, surtout la forme de couleur jaune fluo avec des touffes de poils blancs peu urticants, faisant penser à des blaireaux de rasage, ou à un punk flashy… au choix ! Elle se nourrit tranquillement des feuilles de toutes sortes de feuillus et met plus de deux mois et demi à se métamorphoser en papillon, enroulée dans une feuille comme dans une sacoche. C’est d’ailleurs la chenille qui a donné son nom français à l’espèce : dérangée, elle fait le gros dos et rentre timidement sa tête dans l’avant du corps.

Texte et illustration : Philippe Carruette

Le Xylocope violet (Xylocopa violacea) ou Abeille charpentière est un insecte de la famille des Apidae. Sa taille impressionnante, sa couleur sombre et les beaux reflets violacés métalliques de ses ailes à balancier peuvent faire penser à un coléoptère, mais c’est bien une abeille solitaire. Les adultes sont nectarivores, butinant les fleurs grâce à leur trompe robuste. 

Les femelles, munies de fortes mandibules, creusent des galeries dans le bois mort ou vermoulu… d’où leur nom ! Elles y pondent quelques dizaines d’œufs – un par loge – et déposent un mélange de nectar et de pollen pour nourrir les larves.

Même si le Xylocope possède bien un dard, il n’est pas du tout agressif. Les adultes nés en début d’été hibernent et ne se reproduisent qu’au printemps suivant.

Texte et illustration : Philippe Carruette

Zoom sur un petit papillon diurne bien courant dans nos campagnes et sur le parc : le tircis. Il est visible de mars à octobre, c’est donc un des derniers papillons que nous pouvons voir par journées ensoleillées.

En anglais, il est appelé « speckled wood » qui signifie « le bois tacheté », de par sa couleur brune et ses tâches jaunâtres rectangulaires sur le dessus. La face inférieure de l’aile est brun-gris avec des motifs qui lui permettent une homochromie des plus parfaite, telle une feuille morte. Les deux sexes sont semblables pour une taille relativement petite : entre 3,8 et 4,4 cm.

Ce papillon  recherche  des  milieux  herbacés  composés  de  poacées (graminées) bordées de zones arbustives  et arborées. Les prairies et les allées arborées du parc lui sont donc plutôt attractives.

Les poacées sont l’unique support de développement des chenilles du tircis. Comme beaucoup de papillons, et pour de nombreux autres insectes, les tircis ont leurs plantes hôtes, des plantes liées à l’insecte. La plante hôte est ainsi un « lieu » de reproduction, où sera déposée la ponte et qui servira de nourriture aux larves jusqu’à leur croissance jusqu’à leur prochain stade de vie.

Les imagos se retrouvent fréquemment au sol ou sur des feuilles basses afin de profiter des rayons de soleil. Dès que nous lui faisons de l’ombre, hop,  il s’échappe et cherche un nouveau coin de lumière.

Le mâle à un comportant territorial assez marqué et va jusqu’à pourchasser ses congénères s’aventurant sur son territoire.

A la différence des autres espèces, ce papillon n’est pas amateur de nectar. Il préfère se délecter de la sève des arbres ou du jus sucré des fruits bien mûrs.

 

Texte : Léa Coftier

Tapi dans les fleurs blanches d’une Eupatoire, un redoutable prédateur attend patiemment sa proie… Syrphes et abeilles, prenez garde, car la Thomise variable (Misumena vatia) est en chasse ! 

Cette petite araignée à l’abdomen tout arrondi, à peine plus grande qu’un grain de riz, aime se poster à l’affût sur les plantes mellifères surplombant la végétation environnante. Pas besoin de tisser de toile. Les insectes gourmands, attirés par les puits de nectar, se font prendre au piège : à peine se posent-ils sur la fleur, promesse de festin sucré, que notre arachnide sort de sa torpeur ! En un éclair, elle se précipite sur une mouche crédule, l’agrippe entre ses deux longues pattes antérieures, et l’envenime. Puis elle retourne dans sa cachette mortelle, se déplaçant latéralement comme une étrille… Il faut dire qu’avec sa paire de “pinces” et sa démarche de travers, la thomise porte bien son surnom d’araignée-crabe

Mais pourquoi diable les butineurs ne l’ont-ils pas repérée ? Sûrement parce qu’elle est douée d’une capacité de camouflage imparable : l’homochromie. Elle change de couleur en fonction de son terrain de chasse ! Ainsi, sur la corolle d’une achillée, la thomise devient toute blanche, tandis que sur un solidage, sa livrée se teinte en jaune. Cette formidable transformation – qui prend tout de même plusieurs heures – est due à la sécrétion puis au transfert d’un pigment liquide dans la couche externe du corps. À vrai dire, cette faculté lui servirait davantage à se cacher de prédateurs éventuels, qu’à tromper ses proies capables de capter les ultraviolets… Quoi qu’il en soit, la belle immaculée n’aura pas échappé à notre regard comblé ! 

Texte et illustrations : Cécile Carbonnier 

Une grosse chenille verte aux rayures violettes traverse le chemin sableux du parc prestement en fin de parcours : celle du Sphynx du Troène.

Ce papillon nocturne est l’un des plus grands sphingidés d’Europe avec une envergure d’une douzaine de centimètres (plutôt pas mal pour un insecte !). La chenille tient sans nul doute des parents et est également assez grande !

Elle se développe, comme son nom l’indique, sur les troènes dans les jardins ou les dunes, mais aussi sur les frênes ou les sureaux. Relativement souvent chez les sphynx, la chenille porte au bout de l’abdomen une sorte de corne (scolus) dont on ne connaît guère la fonction.

Toutefois, même si elle est impressionnante et acérée, elle est complètement inoffensive, ce n’est pas un dard ! Elle semble grassouillette mais elle n’aime pas perdre son temps. En effet, au bout de quatre semaines de gloutonnerie de feuilles, elle a déjà atteint sa maturité. Elle est ainsi prête pour l’enfouissement et sa nymphose en chrysalide.

L’émergence nocturne de ce grand papillon s’effectuera à la fin du printemps prochain !

 

 

Au fait, mais pourquoi « sphynx » ?  Les chenilles des sphingidés dressent lentement la tête et la partie avant du corps de manière martiale digne d’un sphynx égyptien… 

 

Texte et illustration : Philippe Carruette

Posé sur une digue du Parc, un élégant papillon vert pâle, légèrement grisé, sommeille : il s’agit du Céladon (Campaea margaritaria) – parfois appelé Perlée – un lépidoptère de la famille des Geometridae. Une fine ligne blanche transversale dessine une nervure harmonieuse sur ses ailes étalées au sol. De la couleur d’une feuille de saule, il aurait pu passer inaperçu, s’il avait choisi une autre cachette pour se remettre de ses virées nocturnes… 

Bien que très commun dans la région, cet insecte n’avait pas été cité depuis 2008 sur la Réserve Naturelle Nationale de la Baie de Somme ; une lacune qui s’explique sûrement en partie par son écologie. En effet, le Céladon affectionne les milieux boisés dominés par les feuillus, plutôt rares dans le Marquenterre. 

Sa larve, très polyphage, se nourrit volontiers de chêne, de hêtre, de charme, de bouleau, d’orme, d’aulne ou encore d’aubépine. À l’instar des autres chenilles de la famille des Geometridae, on la qualifie d' »arpenteuse« , surnom qu’elle doit à son mode de locomotion très caractéristique : le corps bien tendu, elle attrape un support avec ses “vraies” pattes thoraciques, puis doit se courber en arc de cercle, afin que ses “fausses” pattes charnues, situées à l’extrémité de son abdomen (et non au milieu comme chez la plupart des chenilles), agrippent le support sur lequel sont fixés ses membres antérieurs. Ce mouvement fait penser au géomètre décalant sa corde d’arpenteur pour mesurer une distance au sol.

Compte-t-elle le chemin qui la sépare de son abri hivernal ? Car c’est sous sa forme larvaire que cet insecte bivoltin (c’est-à-dire qui produit deux générations par an) traversera la saison froide, avant de se métamorphoser en délicat papillon de nuit. On ne connaît pas l’adresse de son refuge ; néanmoins, malgré un nom latin qui fleure bon le basilic frais, la tomate et la mozzarella, non, Campaea margaritaria n’est pas inféodé aux pizzerias… N’en déplaise aux gourmands ! 

Texte et illustrations : Cécile Carbonnier