Posé sur une digue du Parc, un élégant papillon vert pâle, légèrement grisé, sommeille : il s’agit du Céladon (Campaea margaritaria) – parfois appelé Perlée – un lépidoptère de la famille des Geometridae. Une fine ligne blanche transversale dessine une nervure harmonieuse sur ses ailes étalées au sol. De la couleur d’une feuille de saule, il aurait pu passer inaperçu, s’il avait choisi une autre cachette pour se remettre de ses virées nocturnes… 

Bien que très commun dans la région, cet insecte n’avait pas été cité depuis 2008 sur la Réserve Naturelle Nationale de la Baie de Somme ; une lacune qui s’explique sûrement en partie par son écologie. En effet, le Céladon affectionne les milieux boisés dominés par les feuillus, plutôt rares dans le Marquenterre. 

Sa larve, très polyphage, se nourrit volontiers de chêne, de hêtre, de charme, de bouleau, d’orme, d’aulne ou encore d’aubépine. À l’instar des autres chenilles de la famille des Geometridae, on la qualifie d' »arpenteuse« , surnom qu’elle doit à son mode de locomotion très caractéristique : le corps bien tendu, elle attrape un support avec ses “vraies” pattes thoraciques, puis doit se courber en arc de cercle, afin que ses “fausses” pattes charnues, situées à l’extrémité de son abdomen (et non au milieu comme chez la plupart des chenilles), agrippent le support sur lequel sont fixés ses membres antérieurs. Ce mouvement fait penser au géomètre décalant sa corde d’arpenteur pour mesurer une distance au sol.

Compte-t-elle le chemin qui la sépare de son abri hivernal ? Car c’est sous sa forme larvaire que cet insecte bivoltin (c’est-à-dire qui produit deux générations par an) traversera la saison froide, avant de se métamorphoser en délicat papillon de nuit. On ne connaît pas l’adresse de son refuge ; néanmoins, malgré un nom latin qui fleure bon le basilic frais, la tomate et la mozzarella, non, Campaea margaritaria n’est pas inféodé aux pizzerias… N’en déplaise aux gourmands ! 

Texte et illustrations : Cécile Carbonnier

Le temps semble tourner au ralenti dans la touffeur caniculaire de ce début du mois d’août. Pourtant, au sol, un insecte s’affaire, silhouette effilée et tremblante dans les brumes de chaleur. Il ne s’agit pas d’un mirage, mais de l’Ammophile des sables (Ammophila sabulosa) que les températures assommantes rendent hyperactive.

Ce bel hyménoptère noir, long d’une vingtaine de millimètres, se reconnaît à son abdomen fortement pétiolé, dont les premiers segments semblent éclaboussés d’une goutte de sang brun-rouge. Ses longues pattes ébène et ses ailes légèrement teintées, aux nervures foncées, parfont le corps mince et brillant.

L’élégante guêpe n’est pas seule : elle tient entre ses mandibules une chenille blanche et jaune, légèrement velue, qu’elle traîne péniblement sur le sable brûlant. La proie, plus grosse que la chasseresse, a été paralysée d’un coup d’aiguillon. Complètement groggy, elle ne pourra pas lutter contre son sort.

Un instant, l’Ammophile relâche son étreinte et court sur le sol, agitant énergiquement ses antennes. Tout à coup, elle s’arrête, et creuse le sable avec ses tarses ; elle met à jour une fine galerie : c’est l’entrée du terrier dans lequel elle s’apprête à ensevelir la chenille. Au fond du trou, qui mesure entre 5 et 20 centimètres de profondeur, la guêpe fouisseuse a pondu un œuf solitaire. La larve, bien à l’abri sous le sable, pourra se délecter de la nourriture fraîche que lui apporte son parent. Dans un rayon de 150 mètres environ, l’Ammophile des sables peut ainsi créer une dizaine de nids, qui accueillent chacun une cellule unique. 

Une fois la proie enterrée vivante, l’insecte ressort de la galerie, qu’elle obture et scelle soigneusement à l’aide d’une brindille. Cette dalle protectrice sera un rempart contre l’intrusion d’éventuels prédateurs, mais aussi de congénères opportunistes ! En effet, les cas de cleptoparasitisme ne sont pas rares chez l’Ammophile des sables : au lieu d’aller chasser, il arrive qu’elle pille un terrier existant, et récupère ainsi sans effort les proies capturées pour la progéniture d’une autre. Si l’œuf est encore présent sur la chenille, elle s’en débarrassera avant d’enfouir à son tour le butin volé…

Texte et illustrations : Cécile Carbonnier

Les fortes chaleurs du mois d’août sont favorables aux insectes. Que ce soit sur le littoral ou à l’intérieur des terres, nombre de personnes ont remarqué les mouvements importants de papillons blancs, les Piérides. Cette deuxième génération estivale file plein sud dans de véritables mouvements migratoires. Ce sont majoritairement des Piérides du choux (Pieris brassicae), plus grandes, mais aussi d’autres espèces plus petites comme la Piéride de la Rave et peut être celle du navet.

Au point de vue du Parc du Marquenterre, plus de 380 individus sont comptés en 3 heures le 10 août au matin. Sur la même durée, 180 le 11 août vers le sud, traversant le massif dunaire et la baie de Somme en vol isolé mais aussi par petits groupes. Le 11 août de nombreux individus traversent également la baie d’Authie, au port de la Madelon. Leur vol est très direct, soutenu et les papillons ne s’intéressent guère au butinage. Si certains traversent bas dans les pinèdes, la majorité monte en altitude et passe au-dessus de la cime des arbres. Moins nombreux, des Vulcains (Vanessa atalanta) passent aussi en migration (78 en 3 heures le 10 août). Ce papillon sombre à bandes rouge-orangées sur les ailes, a un vol puissant pouvant atteindre 35 km/h (et il faut être rapide pour les suivre aux jumelles) ! On sait que bon nombre d’entre eux viennent d’Angleterre et descendent sur la côte atlantique. Ils vont, dans leur cas, vivre bien plus longtemps que les piérides puisqu’ils vont passer l’hiver à l’état adulte et pondre au prochain printemps (les piérides passent elles l’hiver en chrysalides et non au stade d’adulte).

Phénomène nouveau, on constate maintenant que des Vulcains hivernent maintenant dans notre région. La perception de la migration des papillons est déjà mentionnée en 1100 en Bavière sur des papillons blancs (probablement des piérides) et en Angleterre en 1508.

 

Texte : Philippe Carruette / Illustration : Clément Parissot

Un nom bien savoureux comme sorti tout droit d’un roman de Marcel Pagnol pour un papillon nocturne pourtant bien terne. La Cucullie de la scrofulaire fait partie de la famille des Noctuidae. Posée sur une branche sa forme allongée et sa couleur grisâtre aux nuances de beige lui font avoir un aspect de bois mort. Heureusement la chenille a tout d’une parure de festival méridional : avec ses teintes claires à points noirs et une ligne latérale jaune fluo du plus bel effet ! S’il elle n’est pas parasitée par une guêpe poliste ou attrapée par un passereau, elle va vite s’enfoncer sous terre pour 10  mois en une chrysalide brune et attendre le printemps prochain pour voir émerger le papillon.

Cette espèce semble assez commune en Picardie et, est considérée comme très rare en Nord Pas de Calais selon le remarquable Atlas des Papillons de nuit du Nord Pas de Calais de Georges Orhant et Serge Wambeke.

Attention tout de même à ne pas confondre cette jolie chenille avec celle du Machaon papillon diurne devenu peu commun dans notre région (Merci Benjamin!) et merci à Isabelle De Liège pour la photo de la chenille vorace bien entendu au sommet d’une Scrofulaire noueuse !  

 

Texte : Philippe Carruette / Illustration : Isabelle De Liège